Le fils du peintre, 3e partie, une nouvelle de Louis Delville

Publié le par christine brunet /aloys

Le fils du peintre, 3e partie, une nouvelle de Louis Delville

Les jours passaient sans ennui véritable mais aussi dans un train-train qui devenait de plus en plus pesant pour moi. La fin d'après-midi était consacrée aux mathématiques. J'ouvrais un de ses livres de classe et tentais quelques explications. Il ne se dérobait pas souvent, faisant même parfois preuve d'intérêt pour la beauté d'une formule ou la subtilité d'un théorème de géométrie.

Gérard avait insisté pour que je continue à occuper sa chambre. À ma grande surprise, ni sa mère, ni Gaston ne s'y étaient opposés.

Tous les matins, nous allions au village pour le petit- déjeuner café-croissant qu'il insistait pour payer et l'après-midi, c'était la plage et une longue baignade. Depuis fin juin, l'été était exceptionnel, la température n'était jamais descendue en dessous des vingt degrés et le ciel restait invariablement bleu. Je bronzais à vue d'œil et Gérard se livrait de plus en plus.

Certaines soirées, nous restions longtemps à bavarder couchés sur nos lits. Nous parlions aussi bien d'histoire que de littérature. Gérard se disait attiré par Rimbaud comme beaucoup d'adolescents de son âge. Et le fait que je m'appelais Arthur ne le laissait pas indifférent.

Un soir où nous étions bien fatigués de notre journée, Gérard me proposa de nous coucher plus tôt. Le soleil avait été particulièrement généreux ce jour-là et la chaleur qui régnait dans la chambre m'incita à dormir en bermuda. Comme chaque soir, je me suis couché le premier et sans dire un mot, il s'est glissé derrière moi et j'ai senti que, comme moi, il avait troqué son pyjama contre un simple slip. Ses mains caressaient mon dos et mes épaules. J'ai frissonné.

J'étais revenu quelques années en arrière, je sentais les mains de Sophie sur moi, ses baisers enflammés, sa peau nue contre mon corps. Oh, Sophie ! Laisse-moi encore te caresser, t'embrasser. Sophie, mon amour ! J'aime te sentir, j'aime sentir ton parfum, j'aime te voir nue près de moi, offerte et pourtant si sage ! Le souvenir de nos étreintes ne s'est pas estompé avec le temps, Sophie. Tu es toujours là, près de moi, prête à te donner ou à me prendre… La nuit chaude m'enveloppait dans une volupté parfaite.

Puis Gérard s'est reculé et après m'avoir simplement souhaité une bonne nuit, il est retourné dans son lit. J'ai à peine répondu et je suis tombé endormi.

Le lendemain, Gérard m'a longuement expliqué qu'il ne savait vraiment pas pourquoi il avait fait cela, qu'il regrettait, qu'il me demandait pardon. Qu'il était vraiment malheureux avec des parents si lointains. Qu'il ne voyait qu'une solution à son avenir, c'était le suicide…

J'ai essayé de l'en dissuader, lui montrant les beautés de la nature, les amitiés qu'il pourrait avoir au long de sa vie. Qu'il était joli garçon et que les filles ne manquaient pas. Qu'il trouverait un jour le grand amour et que tout ce qu'il vivait aujourd'hui lui semblerait si dérisoire qu'il en rirait.

Je lui ai parlé de Sophie, de moi, de cet amour brisé en cent jours et de ma volonté d'aller au-delà de mon chagrin et de vivre.

Gérard était persuadé que, dès la rentrée scolaire, on allait encore le changer d'école. Ses nuits étaient peuplées de cauchemars et, la journée, il me parlait de moins en moins.

Les jours avançaient vers le mois d'août et Gérard dépérissait à vue d'œil. J'avais découvert qu'il prenait régulièrement de petits comprimés, des analgésiques m'avait-il dit. Et comme je le questionnais à ce propos, il se referma comme une huître et je ne pus rien en tirer de plus.

J'avais parlé à ses parents sans que cela ne les inquiétât. Son père ne semblait guère prêt à faire venir le médecin et, comme d'habitude, sa mère se taisait.

Le lendemain, je partais pour Rennes sous prétexte d'une visite chez le dentiste. J'ai acheté un petit pistolet et je suis revenu à Cancale. Un coup. Il ne m'a fallu qu'un coup pour délivrer Gérard…

Gérard, tu es libre maintenant ! Pars, Gérard ! Pars vers le monde ! Moi, je vais rejoindre Sophie. Cent jours ce n'était pas assez.

J'ai posé l'arme contre ma tempe et j'ai appuyé sur la détente…

(Extrait de "Petites et grandes histoires")

Louis Delville

louis-quenpensez-vous.blogspot.com

Publié dans Nouvelle

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