Texte n°9 sur le thème du cauchemar pour la revue "les petits papiers de Chloé"
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LE ROI DES CONS
«Dupont, Durand, Dubois, Duval, Dupuis, Duchêne,
À nos fusils la fleur poussait,
Toujours prêts à nous fair' descendre à la prochaine,
Dans mon rêve où le roi des cons était Français. » *
J’étais à nouveau militaire. Peut-être s’agissait-il d’une mobilisation ? Ou peut-être n’avais-je même jamais quitté l’armée ? Etions-nous seulement en guerre ? Je ne savais plus, tout était brouillé, confus, incohérent, terriblement angoissant. J’étais à la fois jeune et vieux, célibataire et marié, tout se mélangeait, ma vie civile bien tranquille paraissait à la fois proche et lointaine… Mais je portais bien derechef cet uniforme que j’exécrais.
Et à propos d’uniforme, je cherchais en vain le moyen de faire disparaître, sur le blanc de ma vareuse, une vilaine tache sombre qui me vaudrait à coup sûr d’être consigné à bord par mon capitaine de compagnie lors de l’imminente inspection des permissionnaires. Ah oui, c’est vrai, où avais-je la tête ? J’avais demandé à descendre à terre pour rejoindre mon épouse le temps d’un week-end…
Mon paquetage… Il me fallait y récupérer ce bout de craie qui permettait de dissimuler, pour peu que l’on n’y regarde pas de trop près, une salissure trahissant un uniforme trop longtemps porté. Où avais-je donc abandonné mon sac de marin aussitôt après avoir mis les pieds sur ce maudit rafiot ?
J’interpelais un collègue que j’apercevais au bout de la coursive, en bleu de travail, pour lui demander s’il ne disposait pas par hasard de ce qui me faisait si cruellement défaut. Et fut stupéfait de m’entendre répondre, sur un ton goguenard, que toutes les permissions étaient supprimées en raison d’une opération de débarquement à laquelle j’étais d’ailleurs supposé prendre part.
C’était donc bien la guerre. La guerre… Bon Dieu ! Mais comment se faisait-il alors… D’une voix que je voulais ferme, je posais quelques questions innocentes pour tenter d’en apprendre un peu plus sur une situation internationale que je n’étais pas censé ignorer. Avec un haussement d’épaules, le collègue se contenta de faire allusion au conflit qui venait d’éclater entre l’OTAN et la Russie, suite à une aggravation de la situation en Ukraine.
Voilà, nous y étions… Un nouveau conflit en Europe dans lequel nous nous étions bel et bien laissés entraîner, pris au piège entre la politique hégémoniste des Américains et la tendance expansionniste des Russes. J’allais connaître la guerre, la vraie, y participer, même…Celle dont j’avais tant entendu parler étant enfant, sur laquelle j’avais tant lu par la suite. Avec son cortège d’horreurs, ses villes écrasées sous les bombes, ses réfugiés…
Affolé, je tentais d’interroger encore le collègue qui me tournait déjà le dos. De lui demander s’il savait pourquoi nous n’avions pas réussi à rester en dehors de tout ça. Un vacarme soudain me cloua sur place… Une torpille ? Un obus ? J’ouvris brutalement les yeux et, les battements de mon cœur allant decrescendo, reconnaissait peu à peu le bruit caractéristique et rassurant d’un camion-benne procédant au ramassage des poubelles…
« Quand je sautai du lit, que j'entendis la somme
De balivernes qui florissaient,
J'eus comme l'impression d' êtr' pas sorti d' mon somme,
De mon rêve où le roi des cons était Français. » *
* « Le cauchemar », Georges Brassens.