Texte 5- concours sur le thème du cauchemar pour la revue "les petits papiers de Chloé"
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UNE HISTOIRE AFRICAINE
Ce rêve agréable, je le faisais souvent : voler très haut, libre comme l’air. L’air pur. Si pur. Pur comme le rire de maman, quand elle riait encore. Mais je suis triste, aujourd’hui, très triste, car le souvenir de son rire s’efface peu à peu. Devient moins clair. « Ne pleure pas », qu’elle murmurait toujours, quand j’avais du chagrin. Alors, non, je ne vais pas pleurer.
Voler haut. Mille fois plus haut que le butor étoilé… Planer ! Je l’aimais, ce rêve. Pourquoi les beaux rêves se transforment-ils toujours en cauchemars ?
Je vole, mais la sensation de bien-être et de liberté est devenue un sentiment oppressant. Tout va vite, beaucoup trop vite… Je suis balayée, je tournoie. De plus en plus vite. Si bien que je ne distingue plus rien. Je ne vois que des couleurs qui se mélangent et la pluie, parfois, fouette mes yeux. Je ressens un poids, là, sur ma poitrine. Je manque d’air. J’ai peur de mourir. Mes poumons sont comme obstrués, tout gonflés. Ma trachée est douloureuse.
Pourquoi personne ne m’aide ? Je me sens si faible, si seule. Les vents me projettent en tous sens, comme si je n’étais qu’une feuille d’arbre misérable.
Il est vrai que je suis plutôt maigre. Je ne mange pas beaucoup…
Je tournoie, je suis effrayée. Par pitié, mais faites que ça s’arrête !
Ça s’arrête toujours… Toujours quand mes paupières s’ouvrent au lever du Soleil. C’est là que le cauchemar commence. Le véritable cauchemar.
Je suis une esclave.
Monsieur et madame disent que je suis leur domestique. C’est faux. Je suis une esclave. Monsieur leur fils m’appelle Cheeta. Je ne sais pas pourquoi, mais ça le fait rire aux larmes et il exige parfois que je pousse des cris.
Maman et papa étaient pauvres. Bien trop pauvres pour tous nous garder. Papa sculptait, maman tissait, mais cela ne suffisait pas pour nourrir quatre enfants. Alors, papa m’a vendue à ces gens de Cotonou. Et quand le train a démarré, j’ai vu maman arriver en courant dans son boubou bariolé. Elle hurlait, pleurait. Et puis, elle s’est mise à taper sur papa. J’ai été heureuse quand j’ai réalisé qu’elle ignorait ce que papa avait fait, serrant contre moi ma petite girafe en bois d’ébène. Mais il était trop tard. Et le train s’éloigna de Parakou. Je n’ai plus pleuré, après ça. J’avais promis. J’ai tout fait pour me souvenir du rire de maman et de rien d’autre. C’était ma force.
Je vis au sein d’une famille riche, dans une grande maison pleine d’objets qui me sont étrangers et dont j’ignore l’utilité. Je dois juste nettoyer et nettoyer encore, toute la journée. Mes mains et mes genoux sont usés, pauvre de moi.
Les vallons me manquent, et le marché, et les poules. J’ai gardé cette odeur de karité dans mes narines. Je me souviens des fortes pluies, également, et de la terrible sécheresse. C’est un peu pareil, à Cotonou… À Cotonou, cela dit, il y a aussi des plages. Je ne les verrai jamais, vraisemblablement.
Si je ne fais pas bien mon travail, monsieur me tape. « Sale négresse », qu’il m’appelle. Il tape aussi les garçons. Eux, il les appelle « Bamboula ».
Demain, il paraît que des hommes fortunés vont venir me voir. J’ai entendu monsieur dire au téléphone que j’étais « jolie ». Qu’est-ce que ça peut leur faire ?
Je m’appelle Fatimatou. J’ai neuf ans et demi.