"Toujours aussi jolie", épisode 3, un feuilleton signé Carine-Laure Desguin
Episode III : Trois mots, pas un de plus
Ses pas l’amènent jusqu’à la rue de Marcinelle et puis vers le quai de Brabant. Elle se demande alors pourquoi elle fait ce détour pour se retrouver là, à quelques pas de la place Buisset. Le hasard ? Croiser des gens, détecter des visages, revoir Marcus ? Inconsciemment, c’est ça, oui, c’est bien ça. Marcus revit en elle, minute après minute. Quai de Brabant, Virginia s’attarde devant la maison du Hainaut et puis, un peu plus loin, elle remarque un groupe de touristes, ce sont des Japonais, ils ont le regard braqué sur des travaux de démolition et leurs appareils-photos surchauffent à plein tube. Au milieu d’eux, un guide explique qu’ici même, une fois la banque nationale rénovée, un haut lieu culturel verra bientôt le jour. On sait déjà que Yolande Moreau sera la marraine de ce temple cinématographique, ce ne sont donc pas que des promesses ! Virginia reconnaît le guide. Oh oui, c’est lui, cette dégaine, cette gueule moqueuse et provoc, c’est bien le Piet. Piet, ex-taulard, ex-drogué, un pote avec qui Marcus et elle remodelaient le monde…Virginia ne peut s’empêcher de prendre des dizaines de clichés, elle matraque de son flash tous les visages qu’elle croise, même ceux des Japonais. On n’sait jamais…
Piet, elle s’en approche en ne désarmant pas son appareil. Dix ou douze clichés de Piet à chaque pas.
— Virginia ? Virginia ? répète la voix avec un accent flamand.
— Piet!
— Virginia ! Si je m’attendais ! continue-t-il, le sourire aux lèvres.
— Oh Piet ! Piet ! Tu n’as pas changé, ton long manteau de cuir noir...Dis-moi, quelle reconversion mon vieux ! Ça te change de faire la manche sur le pont Baudouin ! Te voilà guide pour la ville de Charleroi ! Tu vois, l’art mène à tout !
— C’est juste pour faire visiter les ruines ! Non, je rigole…Je m’occupe, tu vois…L’art ne paie pas, tu sais bien…Virginia, si tu es libre, on peut boire un verre ensemble, depuis tout ce temps…Mes japonais s’impatientent…Ils n’ont que deux heures à passer ici et ensuite, ils filent vers la capitale ! Dans une heure à La quille, ok ? Tu as le temps ?
— Bien sûre que j’ai le temps ! La quille, c’est rue de Marcinelle, si mes souvenirs sont bons ?
— Bongo !
— Bingo, Piet, bingo !
— Je dis ça exprès, tu te souviens pas de mes conneries à la flamande ?
Virginia est ravie et pour un peu, elle oublierait pourquoi ce petit vent printanier lui pique les yeux. Tout se bouscule tellement, son retour dans cette ville, le visage de cet inconnu qui se confond avec celui de Marcus, et à présent, voilà qu’elle rencontre par hasard ce Piet. La vie prend de ces tournants parfois, comme c’est étrange. Virginia ressent en elle de grands remous, elle pressent, comme si des milliers d’antennes plantées dans son corps faisaient écho avec l’univers en entier, que des changements surviendront bientôt dans sa vie. Un nouvel amour ? Qui sait ? Après tout, être fidèle à un fantôme comporte des avantages, mais aussi, hélas, des inconvénients. Parfois, le soir, la solitude est écrasante…Elle se dit que finalement, ces photos insolites viennent pimenter son destin, que rien n’arrive par hasard, que ce hasard n’existe pas, qu’il n’est que le reflet de nos pensées…
La silhouette de Virginia s’infiltre dans ces rues étroites, ce labyrinthe situé entre le quai de Brabant et le centre-ville, dans lequel viennent se perdre des individus à la recherche d’une fille ou l’autre. Elle tape un œil vers la rue François-Joseph Navez et, au fur et à mesure qu’elle respire les poussières de Charleroi, de grands projets viennent claquer dans son esprit.
— Un mazout, merci ! lance-t-elle au garçon derrière le comptoir.
Virginia jette un œil sur son gsm et se dit que de toute façon, personne ne la contactera. Ses amis de New-York l’oublieront bien vite et ici, qui pourrait l’appeler ? A part le proprio …
Le visage de Marcus réapparaît devant ses yeux, elle sort de sa poche son appareil-photos et elle ne peut s’empêcher de fixer la troisième photo. Qu’elle zappe, se disant que tout cela devenait obsessionnel. L’enveloppe de tout à l’heure est sortie en même temps que l’appareil-photos. Elle l’ouvre. Stupeur ! Non timbrée, et…
Virginia reste bouche bée. Elle avale deux longues gorgées du mazout que le garçon vient de déposer sur la table. Est-ce possible ? Dans l’enveloppe, un carton sur lequel sont inscrits trois mots. Trois mots, pas un de plus. En lettres capitales et au marqueur fluo rose bonbon :
Toujours aussi jolie
Fin épisode 3
Carine-Laure Desguin
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