A deux pour la vie, un feuilleton signé Carine-Laure Desguin

Publié le par christine brunet /aloys

A deux pour la vie, un feuilleton signé Carine-Laure Desguin

 

Episode 2 : L’hôtel

 

Estelle, distraite, n’avait pas encore regardé toutes les fiches transmises par Claudine. Elle fouilla durant de longues minutes dans son sac, retira l’enveloppe grise et chercha le nom de son hôtel.

— Je ne vous entends pas, pesta le taximan d’une voix exaspérée, doublée d’un lourd accent maghrébin.

— Boulevard de Caulaincourt…..Hôtel Mercure, lança Estelle, soulagée de n’avoir pas cafouillé plus longtemps.

— Nous sommes donc dans le même hôtel vous et moi !

— Ah oui ? s’exclama Estelle.

— Oui, je viens de signaler au chauffeur le nom et l’adresse de mon hôtel…

— Excusez-moi, je suis dans les nuages, répondit-elle en regardant innocemment par la vitre de la voiture.

— Vous êtes deux étourdis, intervint le chauffeur de taxi, le monsieur ne m’avait pas donné l’adresse de son hôtel ! Dans mon pays on dit que de l’étourderie peut naître le grand amour !

— Et ici, interrompit Estelle, on dit que de l’étourderie peut naître de grandes catastrophes !

— Oui, c’est plus ou moins la même chose, continua le chauffeur de taxi, en pouffant de rire.

Tout en consultant la messagerie de son pc, l’inconnu écoutait d’une oreille attentive la conversation. Plusieurs fois, la sonnerie de son gsm retentit mais il ne répondit pas. A la première sonnerie déjà, Estelle sursauta car la musique ressemblait au bruit d’un bateau en train de couler, un « sploutch » qui n’en finissait pas. « Encore un drôle de gars », avait-elle pensé.

La jeune femme s’émerveillait de voir à cette heure les artères de la capitale grouillantes de vie. Paris, une ville qui ne s’éteignait jamais. Estelle aurait aimé visiter tellement de choses ! Pourquoi ce boss ne lui avait-t-il pas proposé de piétiner les ruelles souterraines des catacombes ? C’est un sujet original qui aurait bien collé avec le style de ce nouveau magazine !

La promenade Georges Ulmer, éclairée par les enseignes fluorescentes du quartier de Pigalle, était encore envahie de promeneurs, d’étudiants, d’amoureux, et de vagabonds. C’est vrai que l’air était encore doux et que nous étions dans les premiers jours du printemps. Les gens avaient hâte de respirer et de caresser ces belles soirées aux couleurs lumineuses. Pour un peu, Estelle oublierait que c’était pour extirper de l’inédit d’un cimetière connu pour ses curiosités funéraires qu’elle se trouvait là, coincée contre cet inconnu qui l’aborda de façon si grossière dès son arrivée dans la ville-lumière.

— Voilà, nous sommes devant vos appartements, les tourtereaux !

Le chauffeur jeta un œil sur son compteur et demanda son dû :

— Vingt-deux euros, s’il vous plaît monsieur !

— Onze euros chacun, si je compte bien ! interrompit l’inconnu, sur un ton glacial.

Sans discuter, Estelle tendit de suite la somme exacte et s’empressa de quitter ce taxi, après avoir souhaité une bonne soirée aux deux hommes.

Derrière elle, le chauffeur de taxi grommelait, il n’avait pas de monnaie, et l’inconnu s’étonnait de ne pouvoir utiliser sa carte bancaire…

— Estelle Debierge, de la société Simon S.A., bonsoir monsieur, une chambre devrait être retenue à mon nom, dit-elle d’une voix lasse en donnant sa fiche de réservation et en lâchant, par mégarde, son sac.

Le réceptionniste pianota sur le pc, imprima un document qu’Estelle signa au plus vite, et donna à sa cliente la carte de la chambre 211. Ce n’est pas la première fois qu’Estelle débarquait dans cette chaîne d’hôtel. Elle s’y sentait comme chez elle, à l’aise.

 

Le lendemain matin, Estelle avait déjà entamé de dix minutes le petit déjeuner que l’inconnu entra dans la salle. Il balaya de son regard vif et profond les quelques tables déjà occupées malgré cette heure matinale. Entre un couple d’anglais qui devant une carte de la capitale cherchait la place Vendôme, et deux étudiantes belges qui discutaient des heures d’ouverture du Louvre. Estelle jouait à la femme d’affaires surbookée. A aucun prix elle ne désirait parler avec cet inconnu. Le premier contact de la veille au soir lui avait suffit, Dieu merci. Elle grignotait son croissant tout en rivant son regard sur le pc et ensuite elle fit semblant d’envoyer un sms. L’inconnu piétinait devant le buffet, il prenait son temps et remplissait sa corbeille au maximum : des viennoiseries, des croissants, des petits pains au chocolat, du beurre, du miel... Il s’assit un peu plus loin qu’Estelle et il ne lui fallut que quelques secondes pour que sa table ressemble plus à un capharnaüm qu’à autre chose. A tel point qu’autour de lui, les visages prenaient un air ébahi. De temps en temps il jetait un regard furtif en direction de cette jeune rebelle, détaillant une fois ses seins rebondis sous le corsage d’une robe girly et une autre fois son visage de poupée, maquillé juste ce qu’il fallait pour laisser son teint naturel s’exprimer. Tout à coup n’y tenant plus, il se leva d’un bond ou presque, et regarda Estelle d’une façon très intensive. Celle-ci ne releva pas la tête, elle feignait d’être absorbée par la messagerie de son gsm tout en s’enroulant les doigts dans les boucles brunes de sa chevelure. Néanmoins lorsque la silhouette de ce garçon frôla sa table, elle se sentit observée avec intensité.

— Bonjour monsieur Leclerc ! dit le garçon de salle, les bras chargé d’une corbeille débordante de petits pains au chocolat.

— Ah, bonjour, toujours fidèle au poste !

— Merci monsieur et bon séjour parmi nous ! répondit le jeune homme sur un ton enthousiaste.

— Aucun problème, je reviens ici tous les mois, comme vous voyez ! Tout est parfait ici, il manque quelque chose et hop, vous accourez ! Que demander de plus ? répondit-il, tout en se servant un grand verre de jus d’oranges, l’air faussement décontracté.

Estelle n’avait rien perdu de la conversation et fut surprise de comprendre que son inconnu n’était pas un inconnu du tout pour le personnel de cet hôtel. Tempérament de journaliste oblige, elle commença à se demander pourquoi ce monsieur Leclerc venait dans cet hôtel chaque mois. Le boulot sans doute conclut-elle, et elle s’aperçut de son erreur, elle venait d’envoyer un message à Hugo, son frère, au lieu de l’envoyer à son amie Marielle. Estelle pesta, elle se sentait troublée et ce, bien malgré elle. Lorsque l’inconnu qui n’en était vraiment plus un regagna sa table, Estelle ne put s’empêcher de le regarder s’installer. Il était grand, portait une veste chic en tweed gris et, même de dos, il dégageait une certaine élégance. Les cheveux châtains clairs mi-longs la firent sourire et de suite le visage de d’Artagnan lui apparut devant les yeux. Peut-être « belle gueule » se dit-elle en laissant son imagination s’emballer mais « sale caractère », c’est sûr à cent pour cent conclut-elle, en se remémorant les paroles autoritaires entendues la veille. Estelle ne détacha pas les yeux de ce monsieur Leclerc. Elle trouvait délicieux d’observer tous les gestes de cet homme qui lui tournait le dos. Sa façon de ranger ses petits pains était irrésistible et elle se prit à imaginer les mille et une raisons de cette visite mensuelle dans la ville-lumière. Un antiquaire ? Chaque mois, il venait aux puces, pêchant l’un ou l’autre objet rarissime. Un conférencier ? Elle voyait ce monsieur Leclerc devant un écran lumineux, étalant son savoir de mathématicien devant des universitaires binoclards. Et puis elle s’en voulut. Rêvasser au sujet de situations idiotes lui avait déjà joué des tours et les désillusions avaient cloué au sol de bien belles images.

Par la grande fenêtre juste à sa gauche, Paris s’étalait et, quoique son séjour avait une destination obligatoire – ce fameux cimetière de Montmartre –, les paroles de Claudine, la secrétaire sexy, refirent surface. Tout à coup, Paris lui paraissait immense et très belle, un peu comme une grande scène de théâtre sur laquelle des dizaines de comédiens et comédiennes tenaient un rôle. Un grand souffle de liberté lui parcourut le corps et elle avait à présent une envie folle de dévaler les rues de ce quartier que tant d’artistes avaient fréquenté et aimé. Et puis après tout, c’était à Montmartre qu’Amélie Poulain avait vécu son fabuleux destin !

Estelle rassemblait ses affaires quand elle sentit que l’atmosphère se chargeait d’un courant d’énergie, des ondes électriques excitaient l’air ambiant…

— Bonjour mademoiselle, je reprends un verre de jus d’orange… et vous, désirez-vous un verre également? Hier, j’étais un peu fatigué et énervé, je me suis comporté comme un goujat. Oh, je me présente, Medhi Leclerc.

Estelle resta muette quelques secondes. Elle sentit ses joues rougir et son regard s’enflammer. Cela la rendait encore plus confuse. Et plus jolie aussi. L’homme qui se tenait devant elle avait en plus de la chevelure de d’Artagnan, la moustache et la barbichette caractéristiques. C’était troublant…

— Heu, Estelle Debierge, bredouilla-t-elle, non merci, je terminais justement et je partais, non…

— Non ?

— Heu, non, je n’ai pas pensé que vous vous comportiez comme un goujat !

— Ah, vous êtes trop indulgente…Je vous souhaite une belle journée ! Et elle sera belle, regardez, Paris vous ouvre ses bras !

Estelle jeta un regard naïf par la fenêtre, comme si effectivement on pouvait voir Paris, avec de grands bras qui s’ouvraient…

Sûr de lui, Medhi Leclerc traversa la salle en direction du buffet, laissant derrière lui les effluves d’une eau de toilette musquée et énivrante. Estelle ressentit un grand frisson et ses tempes commencèrent à bourdonner. Le regard appuyé de ce d’Artagnan, sa voix dont elle cherchait encore l’adjectif pour la qualifier, tout cela lui sembla magique.

 

Carine-Laure-Desguin

carinelauredesguin.over-blog.com

 

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N
Il me donne des frissons aussi ! et il m'intrigue ce d'Artagnan des temps modernes ! Mystérieux personnage envoûtant ...
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C
Merci les zamis. Le comble c'est que je relis le texte en même temps que vous...Et que moi aussi, je m'amuse!
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J
Je découvre cette deuxième suite seulement ce soir car ai travaillé la journée en co-écriture. Quel plaisir de te lire, Carine. Tes personnages et les décors bien campés sont finement observés, tes dialogues agréables à suivre sont frais et comiques, ton héroïne craquante et sexy !
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A
Je prends ton histoire seulement au 2° épisode (une excuse : je suis en Corse : le plus beau pays du monde - après la Belgique -, et la wi-fi fonctionne seulement à peu près). Mais je pense avoir "rattrapé" le début. J'attends la suite entre ce d'Artagnan et cette journaliste, mais j'attends surtout ce qui va se passer au cimetière...Bises
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C
Ah oui, suspense jusqu'à la dernière ligne!
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R
Vous nous faites languir ! Oh reine du suspense ....
R
Notre mufle de s'assagir .... Il reste toujours aussi mystérieux. Que cache tant de gourmandise ??<br /> <br /> Serait-il un ogre ??? Masqué sous des aspects &quot;civilisés&quot; ??<br /> <br /> Ou un vampire que notre héroïne retrouvera cette nuit ?? dans le cimetière plein d'ombres rôdeuses ?<br /> Suspense ....
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C
Un look 17e pour un Mehdi Leclerc... Tiens, original... Un drôle de personnage, d'ailleurs !
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E
Trop séduisant pour être de tout repos, ce d'Artagnan-garou... :)
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