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textes

Deuxième extrait du roman de François Ucedo, Le Grand Vaisseau qui va à Manissa

Publié le par christine brunet /aloys

 

http://www.bandbsa.be/contes3/vaisseaumarissa.jpg

 

 

Cathy s’appuya sur le bastingage, le regard perdu au-delà des flots. Elle essaya d’analyser la situation.

« Serait-ce un rêve ? pensa-t-elle. Peu probable. Un rêve lucide ? Sûrement pas, car dans ce cas, je saurais que je rêve... Un rêve normal non plus, car il n’y a pas assez d’absurdités. Ce bateau n’est pas assez absurde pour appartenir à un rêve. D’autant plus que rien ne change ni ne se transforme ; je revois les mêmes personnes, les mêmes choses, les mêmes endroits... Or, j’ai déjà rêvé de gens que je connais bien, qui se transforment ou sont déjà physiquement différents quand le rêve commence, mais qui demeurent malgré tout les mêmes personnes. Par exemple, j’ai déjà rêvé de ma cousine, qui dans le rêve se transformait en chienne, mais qui était toujours ma cousine. Mais ici, c’est différent...

« De même pour les lieux et les objets : si je prends le chemin menant au théâtre, je me retrouverai au théâtre. Dans un rêve, si j’allais au théâtre, je pourrais me retrouver devant un distributeur automatique de pizzas, puis je devrais acheter et manger une pizza afin de récupérer le ticket caché à l’intérieur, qui pourrait avoir la forme d’une langoustine, et déboucher ensuite devant une piscine suspendue, de laquelle l’eau ne s’écoulerait pas grâce aux oiseaux qui voltigeraient autour et aux danseurs africains se tenant en dessous, en train de faire des saluts japonais... Et si je demandais pourquoi ils font ça, on me répondrait que c’est à cause des trois lunes dans le ciel de miel de demain ! D’autres viendraient approuver que c’est effectivement à cause du ciel de miel de demain et des trois lunes. Quelqu’un pourrait très bien ajouter qu’il faudrait faire attention à ce que les papillons à dard motorisé ne viennent pas piquer les bulles de la Gloire. Ce serait complètement absurde, ça ne voudrait rien dire du tout, mais pour celui qui rêverait, ça resterait parfaitement logique jusqu’à ce qu’il se réveille...

« Mais ici, ce n’est pas du tout comme ça ! L’absurdité se limite finalement au navire, dont l’intérieur est plus vaste que l’extérieur, et au comportement des gens, qui ne trouvent rien d’étrange à tout cela. Alors pourquoi suis-je la seule à me demander ce que je fabrique ici ? Et Daniel ? Où peut-il bien être, celui-là ? Depuis le brouillard, il ne s’intéresse plus à moi. Il n’a même pas voulu me prendre la main ! Il avait vraiment l’air d’un imbécile heureux... Comme tous les autres, d’ailleurs. »

Un serveur passa, portant un plateau garni de coupes remplies d’une boisson transparente couleur azur.

— Un nectar bleu, mademoiselle ? lui offrit-il poliment.

— Pourquoi pas ? répondit Cathy, avec la bonne volonté d’essayer de s’adapter. C’est quoi ?

— C’est du nectar bleu.

— Je voulais dire : avec quoi c’est fait ?

— Avec... du bleu, je suppose...

— Mais c’est quoi, ce bleu ? Pourquoi ce nectar est-il spécifiquement bleu ?

— Est-ce que je sais, moi ? Pourquoi vos jolis yeux et vos longs cheveux sont-ils spécifiquement bruns ?

Cathy soupira une énième fois avant de porter la coupe à ses lèvres.

— C’est ce qui est écrit sur la bouteille, en tout cas, reprit le serveur. Nectar Bleu. Rien d’autre. Nous en avons aussi du vert, du jaune, du violet... bref, je crois que nous avons toutes les couleurs de l’arc-en-ciel.

Un autre serveur, qui passait justement avec un plateau de coupes remplies de nectar rose, intervint.

— Mais c’est justement ça, ces fameux nectars, ignare ! Ce sont les gouttes colorées de l’arc-en-ciel, récupérées et mises en bouteille.

— Une chose est sûre, déclara Cathy après avoir goûté : coloré ou pas, votre nectar a plutôt un goût d’H2O.

— Ça, j’en sais rien, répondit le deuxième serveur, qui n’avait aucune idée de ce que pouvait bien être une molécule. En tout cas, hache de haut ou hache de bas, les gouttes de l’arc-en-ciel produisent une boisson rare.

— Kafkaïenne, répondit Cathy sur un ton critique en reposant sa coupe à peine entamée sur le plateau.

 

 

François Ucedo

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Adam Gray nous propose un extrait d'Euphoriques et Désespérées

Publié le par christine brunet /aloys

 

euphoriques

 

Extraits choisis du prologue de …Euphoriques & Désespérées

 

« Qui crois-tu être ? Qui crois-tu être pour oser prétendre offrir au monde un recueil de… poésie ? Qui crois-tu être, hein ? Poe, Baudelaire, Rimbaud, Verlaine ? Sois maudit, sinistre inconnu ! Et brûlez donc, toi et tes mots !… »

 

Je ne suis pas un poète, non. Mais suis-je seulement quelqu’un ?

Le recueil que vous tenez entre les mains n’est composé que de cela : des chansons écrites sur une période de vingt-deux années.

Je ne suis personne mais, pourtant, j’ai moi aussi mon histoire, comme vous la vôtre, et c’est l’un des chapitres de cette histoire, qui est aujourd’hui clos – gardez bien cela à l’esprit –, que je voudrais partager avec vous. Sera-t-il digne d’intérêt ? Ne le sera-t-il pas ? Il vous appartiendra d’en juger. Mais, pour comprendre le « pourquoi du comment », l’abc, et ainsi mieux appréhender la plupart des textes composant ce recueil, il est nécessaire que je vous ouvre mon cœur aussi sincèrement que je le puis, que je vous laisse pénétrer dans mon âme aussi profond que possible, sans fausse pudeur, sans concession aucune, même si l’introspection peut être des plus douloureuses, et que je vous entraîne sur les chemins tortueux d’une adolescence meurtrie.

 

 

Tous les dimanches, mémé Nana, qui se levait toujours aux aurores, organisait des repas gargantuesques pour toute la famille. Et, bien souvent, nos voisines étaient de la partie, elles aussi ! Je m’étonne encore qu’autant de monde ait pu tenir dans une si petite habitation, d’ailleurs…

À la fin de l’année 1994, elle se hâta de vendre l’appartement pour une bouchée de pain. Elle savait une chose que ma mère et moi ignorions encore : qu’elle n’en avait plus pour très longtemps à vivre (on l’avait déjà sauvée d’un cancer, en 1987). Par-dessus tout, elle redoutait que le frère de ma mère ne nous jetât à la rue, et s’était confiée à l’une de mes cousines quant à ses craintes.

Je ne puis dire si elle avait raison… Je ne puis dire si elle avait tort… Le doute subsistera toujours. Elle voulut nous protéger.

Nous quittâmes donc notre « chez nous » dans le silence et la résignation, dans l’incompréhension et la torpeur ; dans une colère muette, pour ma part. L’argent récolté grâce à la vente, partagé en parts égales, suffit à peine pour acheter ces espèces de meubles fragiles qu’on monte soi-même, afin de remplacer ceux que nous avions depuis des lustres et qui avaient, il est vrai, fait leur temps.

Quelques semaines plus tard, pris au piège d’un appartement que je haïssais et qui était, au sens propre, glacial, nous découvrîmes l’horrible vérité : avec des cotons, des mouchoirs, mémé Nana, des mois durant, avait dissimulé…

Comment appeler ÇA, Seigneur ?

Elle avait un trou, un véritable trou, à la place du sein. Une gangrène… Elle était tellement terrorisée de devoir retourner à l’hôpital qu’elle avait tu une souffrance que je ne peux deviner qu’épouvantable. Elle avait réussi, même, à tromper la vigilance de ma mère, qui, pourtant, la surveillait de très près depuis son premier cancer.

Sa dernière phrase fut la suivante : « Pardon pour la vie que je vous ai fait mener. »

En un mois, ce fut terminé.

Il est évident que la nuit, parfois, quand le sommeil ne vient pas et que nous avons tout le temps de repenser, retenir ses larmes est impossible, et l’on se demande :

« Pourquoi ? »

Avec des si, je serais peut-être toujours chez moi, heureux.

Qui sait ?

Oh ! Bien sûr, je ne souffre plus comme autrefois d’imaginer que quelqu’un d’autre puisse évoluer dans les pièces où j’ai ri, où j’ai joué, où j’ai pleuré, sans doute. Mais un relent de colère demeure…

Point de haine, non ; la haine est le credo des imbéciles.

Parfois, naïvement, je me surprends à rêver de reconquérir ma maison de poupées un jour même si, au final, il me semble que ça ne m’apporterait rien de positif, sinon la souffrance de ne plus rien reconnaître du tout. Et ceux que j’aime ne seraient plus là…

Pourquoi se torturer, alors ? Inutilement, qui plus est.

Ce que je sais, ce qui est sûr, c’est qu’une partie de mon âme est morte le jour où mon sanctuaire m’a été arraché.

Qu’importe la raison. Qu’importe à cause de qui.

 

 

J’eus la chance – ou la malchance ( ?) – d’être chaleureusement encouragé par des professeurs qui eurent mes textes en main, et qui les trouvèrent fan-tas-ti-ques. Quand Monsieur Delfino me dit que mes poèmes seraient formidables sur de la musique, il ne m’en fallut pas plus pour entrevoir, dans mon avenir, le bonheur.

J’ai essayé, oui. Timidement. J’ai d’ailleurs enregistré l’un de mes nombreux textes, Promis à l’Exil, en studio, en septembre 1999. Égocentrique, Pécheur et Que Dieu me pardonne auraient dû suivre, mais développer cela et évoquer les échecs ne m’intéresse pas.

Au fil des ans, j’ai écrit l’équivalent d’une quinzaine d’albums. Peut-être davantage si je devais compter tous les textes que j’ai jetés à la poubelle, parce que trop maladroits ou trop agressifs.

Mes chansons, intimes, bien souvent, reflètent d’anciennes blessures et des joies éphémères. Elles sont empreintes d’amour et de mélancolie, d’effronterie, également, de puérilité et de gravité, de provocation, accessoirement, d’espoirs déçus et d’espoirs tout court. Il me tenait à cœur que nous partagions cela, vous et moi. Une petite voix me dit que c’était ça, finalement, ma voie : l’écriture.

J’espère qu’elle s’ouvrira vers des lendemains plus beaux…

 

 

Nous sommes le jeudi 15 janvier de l’année 2009. Il est 19 heures 47 et je viens de mettre un point final (?) à mon recueil, …Euphoriques & Désespérées. Ça fait très bizarre de se dire que c’est terminé.

Vingt-deux années d’écriture. Un rêve fou avorté…

La page qui se tourne laissera-t-elle place à de nouvelles pages, un peu plus colorées ?

Je ressens une certaine angoisse, je l’avoue.

 

 

Adam Gray

adam-gray.skyrock.com

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La conteuse, un texte de Claude Colson

Publié le par christine brunet /aloys

 

claude colson-copie-2

 

La conteuse

Face à moi dans ce salon du livre étonnamment bien achalandé en ce tout début d'après-midi un espace de déclamation, contes et lectures.

 
En ce moment une femme, jeune encore, sereine dans sa maturité, fait vivre des contes pour enfants. Le jeune public est captivé.

 
Elle est belle, la chevelure châtain foncé assortie à sa vêture de scène, noire, long châle et corsage noirs, manches à volant, longue jupe ébène descendant vingt centimètres au-dessus de ballerines noires, laissant ainsi entrevoir le jais du collant.

 
Elle virevolte et s'anime, les mains blanches s'envolent, les doigts s'agitent : elle vit son conte.


Je la regarde ; à ma table parviennent les inflexions mi-aiguës de sa jolie voix, en envolées brusques, au rythme de l'histoire. Les cheveux mi-longs lui balaient la figure lors de ses rapides mouvements de tête.


Et voici qu'elle se baisse, tend une main apaisante, croise les bras, toujours dans le flot de sa voix enjôleuse et prenante. Le spectacle se prolonge, presque infini...


Mais le conte se termine, les applaudissements crépitent, faisant naître sur son

visage, entrevu de profil, un large sourire de bonheur. Je vois ses yeux bruns pétiller de la joie de l'artiste.


À ce moment où, ignorante de mon observation attentive, elle se donnait toute entière à son art, cette femme inconnue incarnait une fois de plus à mes yeux, l'essence de la féminité, cette différence fondamentalement substantielle d'avec moi et mes congénères masculins. Différence d'où procède le mystère éternel de l'attirance des sexes opposés.

J'étais aussi très heureux que cette apparition ait relancé soudain en moi l'envie d'écrire, le plaisir de la création.


 

Claude Colson

 

claude-colson.monsite-orange.fr

 

Lena C. Colson

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Alexandra Coenraets nous propose un nouvel extrait de "Naissance"

Publié le par christine brunet /aloys

naissancer

 

De se rendre compte que, malgré ses efforts pour aller mieux, la blessure archaïque en elle ne se refermait pas, Laurence ne put empêcher un spasme écœurant de surgir dans son estomac, et remonter lentement le long de son œsophage pour distiller, tel un serpent, son venin amer par petits coups de langue acerbe, puis d’inonder sa gorge avec violence, prenant le temps de macérer dans sa bouche et d’en tapisser les parois.

Ah, voilà d’où venait ce goût de saleté pénétrante.

Cauchemars. Dégoût.

Eh oui, j’ai eu une bite dans la gorge à quatre ans.

Le poison se transformait ensuite en colle pour lui clouer le bec.

«Ne dis rien, Laurence, personne ne doit savoir, sinon…»

 

Il feuilletait distraitement le journal, à la recherche de la gazette sportive, lorsqu’un article qui s’étendait sur deux pleines pages attira son œil.

Etait-ce par hasard ?

Il en lut le titre.

« J’ai été violée par mon père et ma vie fut un enfer pendant longtemps ».

Loïc releva la tête, l’œil noir. Qu’il le veuille ou non, il savait que sa rencontre avec Laurence l’avait sensibilisé à ce traumatisme, et que malgré tout, il se sentait un peu concerné. Cela ne l’empêchait pas de maudire la récupération de ce type d’histoire par une certaine presse.

C’est juste pour le fric qu’ils font ça, ça les amuse de donner en pâture aux gens des histoires sordides.

Le visage de Laurence s’associa dans son esprit à cette dernière pensée.

Au secours, ne me dites pas que ce genre d’histoire arrive près de chez moi, aux voisins, aux amis, dans ma famille peut-être, je ne peux pas le croire !!!

 

Alexandra Coenraets

100 1665 style rétro

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Louis Delville : Proverbe déformé

Publié le par christine brunet /aloys

 

 

Couverture Louis dernière version copie

 

PROVERBE DÉFORMÉ

"Partir, c'est mourir un peu"

 

Caïus Julius l'a décidé et quand Caïus Julius décide, on se tait…

 

"Toi, que tes amis chrétiens appellent Cyrille, je te condamne à être plongé vivant dans de l'huile bouillante" !

 

La sentence est cruelle mais irrémédiable…

 

Cyrille passe sa dernière nuit avec ses compagnons enfermés comme lui dans la prison du Colisée à Rome. Il est le plus bavard, le plus gai de tous les chrétiens qui attendent le bon vouloir de l'empereur. Pourtant Cyrille sait que demain, il mourra dans d'atroces souffrances.

 

C'est au lever du soleil qu'on est venu le chercher. Depuis plusieurs heures, l'odeur de l'huile chaude avait remplacé celle du bois qui se consumait sous l'immense chaudron placé au centre de l'arène.

 

Caïus Julius a fait son entrée dans le cirque et une longue clameur l'a accueilli.

 

Cyrille avance fièrement. Il a voulu marcher seul, sans contrainte. Il a refusé l'aide pour monter sur la plate-forme qui surplombe l'huile bouillante. Cyrille se signe rapidement et l'empereur lève le bras droit qu'il laisse retomber aussitôt. Cyrille a fait un pas et est tombé droit comme une colonne de marbre. Il disparaît quelques instants puis son corps remonte à la surface sans un bruit.

 

Les spectateurs sont pétrifiés, il n'y a pas eu un cri, pas un instant d'hésitation de la part du chrétien. Décontenancé par tant de courage, Caïus Julius a rapidement quitté le Colisée et la foule s'est dispersée.

 

C'est vers midi qu'avec précaution, on a sorti le corps de Cyrille de son cercueil liquide et encore chaud.

 

On a jeté son cadavre sur le sol et les chiens se sont approchés pour se disputer la chair de l'homme. Et ce que les chiens ont laissé, les pauvres de Rome l'ont terminé !

 

Ce 23 juin, devenu jour de la Saint Cyrille, est resté dans les mémoires. C'est d'ailleurs ce jour-là qu'est apparu le proverbe "Martyr, c'est nourrir un peu" !

 

Louis Delville

louis-quenpensez-vous.blogspot.com

delvilletete


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Le photographe du silence, un texte de pascal Feyaerts

Publié le par christine brunet /aloys

 

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http://pascalfeyaerts.blogspot.be/

 



LE PHOTOGRAPHE DU SILENCE


  B 

IENTÔT on me mit en demeure de photographier le silence. C'était un  vendredi d'été entre les couvertures bleues du ciel et les mouvements insolites d'un soleil qui de faible à ardent se jouait des ombres comme s'amuse un enfant. Dehors, le vrombissement lourd et répété des voitures avertissait que pour d'aucuns le week-end commençait et avec lui toutes les joies d'un repos consenti par l'effort de la semaine. Je connaissais peu quant à moi l'agrément des week-ends depuis que L'Express du Monde m'avait accueilli dans ses rangs. C'était il y dix ans. Une voix charmante au téléphone m'avait tracé le chemin qui menait à mon nouvel employeur : « En entrant, il vous faudra monter au dixième étage ; au sortir de l'ascenseur vous prenez à gauche, et là vous vous trouverez face à trois portes, celle du directeur est la première en partant de la droite, il vous y attend pour 8 heures. Ne soyez pas en retard ! » L'immeuble était impressionnant de hauteur, le dixième étage séduisant quoique peu coquet et le directeur un homme charmant qui m'accueillit avec courtoisie et entrain.

 

    Même lieu et place dix ans plus tard, la lassitude en plus.  Le désintérêt croissant pour la presse d’opinion avait conduit L’Express du Monde à multiplier les errances éditoriales et à  vouloir se démarquer de ses concurrents par un souci constant d’originalité, fût-il exagéré et sans fondement. Mettre le silence en image n’était qu’un pas de plus dans l’extravagance et à mon sens peut être le dernier. 

 

    Le silence n’avait aucun trait, seul son murmure était perceptible et parcourait parfois les bois déserts ou les plages sans caprice ; encore que ce bruissement sauvage, dans lequel j’osais voir l’incarnation sonore d’une chose pourtant habituellement vouée au mutisme, et qu’infatué de mon bon mot j’appelais voix du silence, d’autres l’auraient nommé très humblement zéphyr, alizé, aquilon ou le vent et se seraient gaussés de la prétention de mon langage. Au jeu où l’imagination se tire à la courte paille, le premier désert à tendre les bras aurait sans doute gagné l’œil de bien des photographes mais pas le mien : je m’engageai à donner forme à l’informe et décidai que du silence seule l’allégorie se prêtait à la pose ! Et pour se voir doté d’un visage, autant que celui-ci soit d’une jeune fille, une jeune fille vierge, pure en ses idées comme en ses gestes, inconsciente de sa féminité, car le silence n’a pas de sexe ; une jeune fille étrangère au monde et pourtant s’y baignant harmonieusement, tout empreinte de sérénité ; une jeune fille qui pourrait être la voisine que l’on n’a jamais vue, mais que l’on sait toujours présente ; une jeune fille mystérieuse, dont la physionomie aspire au secret ; une jeune fille, enfin, que n’a su s’approprier la grimace de la parole. Hélas ! ce visage me semblait aussi indiscernable que celui qu’il était censé personnifier… J’en étais arrivé à ce point de mes réflexions quand un bruit se fit entendre venant droit du couloir. C’était la femme de ménage avec qui j’avais en commun d’œuvrer habituellement en ces heures tardives. D’un simple hochement de tête nous nous échangeâmes les bonsoirs et sans plus de mots elle commença à nettoyer les vitres d’un geste apprêté, quasi mécanique.

                                                                                                  

    Qu’y a-t-il, me dis-je alors, de plus mystérieux qu'une fenêtre dont la pure géométrie cache bien souvent plus qu'elle ne dévoile. Baudelaire les aimait fermées, occultées, propices à ouvrir l'imagination, tandis que Rilke les voulait amoureuses. Il y concevait tout un monde où l'éternité se mesure à l'attente et l'attrait à l'espace qui sépare l'arrivée du départ. Ecoutons-le nous dire : « Celle que l'on aime n'est jamais plus belle que lorsqu'on la voit apparaître encadrée de toi ; c'est, O fenêtre, que tu la rends presque éternelle. »

 

La voilà ma photo : une fenêtre entrouverte…

 

 

Pascal Feyaerts

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Alexandra Coenraets nous propose un nouvel extrait de "Naissance"

Publié le par christine brunet /aloys

 

 

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Flash

Dans ma chambre, dans mon lit, une petite fille. Je vois tout du dessus. Il a sauté sur moi avec une rage incroyable, je ne sais pas ce qui m’arrive, je tremble, je ne comprends pas, je me disloque, il me foudroie, je ne veux pas, je n’ai pas le choix, je refuse, je sors de mon corps. Il me salit de ses mains gluantes et dégueulasses. C’est une invasion. C’est abominable. Je veux disparaître.

 

 

Laurence n’appartenait qu’à elle-même, il le savait. La liberté qui faisait son essence, il en souffrait.

Mais c’était ainsi.

Il réalisa qu’il ne pourrait jamais la conquérir totalement. Il goûtait, il savourait ces instants où il pouvait la posséder charnellement, où il avait l’illusion qu’elle n’appartenait qu’à lui, que jamais plus elle ne poserait son regard sur un autre homme, que jamais plus il n’éprouverait du désir pour une autre femme.

Il soupira encore.

Et tressaillit.

Etrange, cette douleur dans la poitrine. A quel point craignait-il de s’attacher ?

 

J’ai honte.

 

J’ai honte de la « peau contre peau », du « corps contre corps », des frottements, des bruits, des soupirs, des halètements, de la transpiration.

Je n’ai pas honte au moment même, j’ai honte quand je m’en rappelle.

Je voudrais que cela n’ait jamais existé.

 

Je voudrais creuser la terre jusqu’au centre, jusqu’à en avoir les doigts et les bras meurtris, pour y enfouir le souvenir de ces moments « chair contre chair », ces moments qui me crient que je suis humaine. Je ne supporte pas de m’en rappeler.

 

Je sens mon corps, je vois ma chair, je sens que je vis.

Je me sens sale.

 

Je sais que j’ai eu du plaisir quand Géniteur m’a fait « ça ». J’en ai honte encore aujourd’hui.

 

Je viens de lire récemment dans un livre que le plaisir sexuel était physiologique. D’en avoir ressenti alors ne fait pas de moi une coupable, ni une responsable de ce qui s’est passé. Des abus. De l’inceste. Tout ceci a l’air si simple, cela paraît évident. Et pourtant, c’est si difficile pour moi de l’intégrer. Et pourtant, il y a encore des gens qui pensent que l’enfant ou l’adolescent a « provoqué » l’adulte, qu’il était consentant.

 

 

L’inceste ôte l’essence de la vie et n’en laisse qu’un semblant.

 

C’est pourquoi,

Ne me dites pas d’oublier. Ne me dites pas que c’est le passé. Ne me dites pas de passer à autre chose, ce n’est pas possible.

NE ME DITES PAS D’OUBLIER A NOUVEAU CE QUE J’AI EFFECTIVEMENT «OUBLIE» PENDANT VINGT-CINQ ANS, OUBLIANT, CE FAISANT, DE VIVRE.

C’est déjà important que j’accepte de me souvenir.

Ne rentrez pas dans le déni, vous non plus.

 

 

Je veux que ce mal sorte de mon corps, que cette chose, cet alien qui dévore mes entrailles s’extirpe de mon sang, de mon cœur, de mon âme.

Ce mal, c’était l’inceste.

Les mains de son père, sa bouche, son machin, ce pénis gluant et puant, qui grossissait, son sperme sur elle.

Sa mémoire ne la laissait pas tranquille, ni sous forme de flashes constants, ni par le biais de son corps qui gardait en son sein les stigmates douloureux de son histoire. Dans les moments d’angoisse, de nuit comme de jour, ses deux mains s’en allaient d’instinct se placer juste sur son sexe pour le protéger.

 

Alexandra Coenraets

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Deux lettres au vent..., un texte de Christel Marchal

Publié le par christine brunet /aloys

 

couv.2

 

Deux lettres au vent…

 

 

C’est une petite maison toute simple, banale, pauvrette, plantée dans une rude ruralité.

Une petite maison qui ne ressemble à aucune autre.

Ce qu’elle a de plus ?

Oh ! Ce n’est pas le cadre, ce paysage ingrat que l’hiver appauvrit encore.

Non ! Il faut regarder en l’air pour comprendre.

Le ciel est par-dessus le toit, comme dit le poète Verlaine, et sur le toit aux tuiles sombres, des tuiles plus claires écrivent deux lettres : M et S.

 

Derrière les murs de la maison, il y a Marcellin et Sélina.

Ils se sont connus au village. Ce village où ils sont nés.

Ils se sont mariés.

Ils ont acheté cette petite maison… Ils l’ont agrandie pour les enfants, de leurs mains, tous les deux.

A quel moment ont-ils mis leurs initiales sur le toit ?

On ne sait plus trop. Quelle drôle d’idée !

Et pourquoi faire ?

Pour dire l’amour, pardi !

Marcellin aime Sélina, Sélina aime Marcellin. Une belle histoire.

 

Des nuages défilent dans le ciel, projetant des ombres mouvantes sur la pelouse.

Tout d’abord se fut à peine perceptible.

Un murmure aussi léger que la brise dans les feuilles.

Sélina chante.

Son chant monte vers le soleil, caresse les arbres, flotte au-dessus des tuiles, une vague de lumière, chaque note transperçant la surface visible du monde.

 

Une déclaration criée sur les toits, vue d’avion, vue du ciel et de tous ses saints.

La forêt lui tend ses bras d’or. Et de verdure mélangée. Dans ses reflets multicolores. Les feuilles craquent sous ses pieds.

 

C’est joli l’amour.

Ca tient chaud l’hiver, ça chauffe aussi bien que le vieux poêle à charbon dans la cuisine meublée de bric et de broc avec ses chaises dépareillées.

Sélina a la sensation de devenir fleur ou vent ou de posséder tout l’univers : le bouquet de jonquilles sur la commode, l’herbe tendre à l’extérieur et les bourgeons qui se déplient sur les branches comme des semences de perle et cachées dans le sol, qui deviendront des vers puis des mouches, les oiseaux se répondent d’une branche à l’autre.

Tout cela est à elle.

La maison.

L’enfant.

Marcellin.

 

Marcellin aime Sélina . Sélina aime Marcellin.

C’est écrit sur le toit, non ?

 

Et l’enfant essaye d’attraper les papillons, les oiseaux, les plaques de soleil, les notes de musique qui s’échappent de la radio.

Malheureusement, il existe un autre adage, celui qui nous dit que pour vivre heureux, il faut mieux vivre caché.

Car ce bonheur et cet amour qui se montrent avec tant d’éclat, n’est-ce pas un peu de la provocation ?

Et le ciel, aime-t-il vraiment qu’on le défie de la sorte ?

La source s’en rivage, s’ennuie sans aucun frein, sans berges,

Elle s’égare dans la nuit,

Elle se tarit et se souvient

Du temps jadis où il vous retient

De venir prendre ses deux mains.

Marcellin aime Sélina.

Sélina aime Marcellin.

 

Marcellin se dispute avec Sélina.

Sélina se dispute avec Marcellin.

Et la source hurle son malheur.

L’enfant pleure.

Ce petit corps devient étoile de feu qui s’éparpille

Et voilà l’ange qui dans le ciel et la nuit

D’une lumière pure et puissante que sur la terre, il répand

Garant de la magie qui scintille dans les yeux des enfants.

De lumineux éclairs strient le ciel.

Tandis qu’en lui la paix devient belle.

L’orage de la nuit.

La violence de la pluie.

 

Sur le toit, les lettres du bonheur, si fièrement affichées, deviennent soudain les initiales du plus terrible malheur.

M. Meurtre.

S. Souffrance.

Et le chagrin vivace, prêt à jaillir, aussi impétueux qu’une source d’eau vive.

L’ombre des feuilles dessinent des trous dans les plaques de lumière. Le pendule tic-taque doucement sur la cheminée.

 

Que la bicoque soit encore debout, un siècle après, ou qu’on l’ait rasée, qu’est-ce qui demeure, épargné par le temps ?

Rien que des pauvres vérités.

Ne faut-il pas mettre des rideaux à son bonheur, pour qu’il ne soit ni trop voyant ni trop fragile ?

 

 

Christel Marchal

lelabodesmots.blogspot.com/

 

 

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Brève rencontre, un texte de Micheline Boland

Publié le par christine brunet /aloys

 

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BRÈVE RENCONTRE

 

De ma cuisine, j'avais vue sur sa cuisine. Entre nos deux maisons, il n'y avait que nos deux petits jardins de ville. Un jour pluvieux de mai, je le vis ouvrir son frigo tandis que moi-même j'ouvrais le mien. Étrange similitude, me dis-je. Cela aurait pu n'être qu'une sorte de coïncidence mais j'y vis plus que cela lorsque le lendemain, il secoua sa salade en même temps que moi. Quand il eut terminé, il m'adressa un signe de la main. Je ne connaissais ni son nom ni son prénom. Il était juste le maître de Cloclo, un chat siamois qu'il appelait quelquefois le soir venu.

 

Lui et moi, deux vies en parallèle. Il mettait son linge à sécher en même temps que moi, il épluchait les légumes quand je le faisais. Il s'attablait au même instant.

 

Entre lui et moi comme une sympathie. Lui et moi, comme deux destins liés. Pourquoi avait-il fallu que mon mari aille vendre des machines agricoles sur un autre continent pour que je le remarque ?

 

En juin, il sonna à ma porte. Il me dit : "Grégoire Cerna. Bonsoir. Puisque apparemment nous avons tous les deux été largués, faisons un bout de chemin ensemble voulez-vous ?" Je le fis entrer. Nous avons préparé le repas et l'avons dégusté sur la terrasse. Puis, il est rentré chez lui.

 

Je ne fournis aucune explication sur ma situation. Nous prîmes l'habitude de manger ensemble, de nous installer ensemble devant le téléviseur. Nous avions les mêmes goûts. Nous avions le même rythme de vie.

 

Un après-midi d'août mon mari rentra de son voyage d'affaires et j'envoyai un SMS à Grégoire. Plus jamais, il n'ouvrit son frigo, n'essora sa salade, ne fit sécher son linge, n'éplucha ses légumes, ne s'attabla au même moment que moi.

 

En octobre, je vis une femme blonde qui de la maison de Grégoire appelait bruyamment Cloclo. Grégoire et moi avions chacun repris des chemins séparés.

 

Micheline Boland

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9782874593581 1 75

 

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Mes chers enfants, un texte de Christel Marchal

Publié le par christine brunet /aloys

 

 

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Mes chers enfants,

 

 

 

Je me suis assise à ma table et je regarde la lune sans la voir.

J’écris dix mots.

J’en rature trois.

J’en écris cinq !

La lune, rousse et douce, pourrait se demander ce que j’écris là !

« J’écris, Madame la Lune, j’écris !

J’écris mes volontés. Les dernières.

Vous  ne le voyez donc pas ? »

 

Je suis sur le point de tracer les derniers mots de mon testament.

Tout autour de moi reposent un fouillis des pages aux mots chiffonnés, des brouillons inachevés, des pensées attrapées au vol et capturées sur une page blanche, entre deux mailles d’un tricot ou les pages d’un roman abandonné.

Mes idées sont capricieuses.

Mes idées sont vagabondes.

Elles sont frivoles et me taquinent !

Une certitude : cette nuit, elles ne se défileront pas, mon crayon est taillé. Elles ne se porteront pas pâles, un bloc de papier neuf les attend.

Je suis prête à les accueillir.

 

Mes chers enfants,

Chaque minute creuse mes rides.

Ma vie me quitte.

Un long voyage s’invite.

Mes chers enfants,

Avant de voyager au-delà de l’horizon, il faut que je vous dise.

 

Ce matin, dans l’espoir de m’envoler vers d’autres contrées alors que mes mains se coltinaient une insipide vaisselle, je voyageais en secret dans mes pensées, je me réfugiais dans les vers d’un poème… Cette envolée me donne de manière agréable, l’envie de pleurer…

Prévert, où es-tu ?

Et « ta » Barbara ?

Rappelle-toi Barbara
Il pleuvait sans cesse sur Brest ce jour-là
Et tu marchais souriante
Épanouie ravie ruisselante
Sous la pluie


Rappelle-toi cela Barbara
Et ne m'en veux pas si je te tutoie
Je dis tu à tous ceux que j'aime
Même si je ne les ai vus qu'une seule fois
Je dis tu à tous ceux qui s'aiment
Même si je ne les connais pas

Oh Barbara
Quelle connerie la guerre
Qu'es-tu devenue maintenant
Sous cette pluie de fer
De feu d'acier de sang
Et celui qui te serrait dans ses bras
Amoureusement
Est-il mort disparu ou bien encore vivant
Oh Barbara
Il pleut sans cesse sur Brest

 

Oh Barbara !

Délicieuse dame en noir.

Elle est précieuse, pour moi, cette chanson. Une petite cantate  mi sol do fa… Obsédante et maladroite  que nous chantait Barbara.

Mais tu es partie, fragile
Vers l'au-delà
Et je reste, malhabile
Fa, sol, do, fa.

Barbara, ton prénom, ma chère enfant.

 

Je devrais vous parler de la voix sombre, ronde et chaude de Maria Malibran.

Personne ne devrait mourir sans avoir caressé le velours de Roméo et Juliette, sans avoir capté la puissance de son interprétation dans Otello de Rossini, sans avoir savouré le mi vibrant et fragile. Ce trille qui m’arrache des larmes.

La Malibran, la voix qui dit je t’aime.

Je dois mourir mes chers enfants.

Je vais mourir mes chers enfants.

Offrez-moi l’ultime bonheur d’entendre cette Voix somptueuse avant de me glisser en terre.

Cette voix pure et brisée tout à la fois me portera vers les limbes puissants sous les jacinthes bleues, aux pétales qui frissonnent lorsqu’on les effleure.

Caressez de vos doigts avides de découvertes les pierres de son mausolée dans notre Père Lachaise de Laeken. Lamartine y a gravé ce quatrain.

Beauté, génie, amour furent son nom de femme,

Écrit dans son regard, dans son cœur, dans sa voix.

Sous trois formes au ciel appartenait cette âme.

Pleurez, terre! Et vous, cieux, accueillez-la trois fois!

 

Souvenez-vous aussi combien nos secrets de famille se murmurent.

Je vous glisse à l’oreille cette vieille recette, ces baisers que petits vous dévoriez, les yeux remplis de bonheur.

Pour réaliser les baisers fondants sur la langue, mélangez 25 grammes de farine, 110 grammes de sucre et 125 grammesd’amandes en poudre.

Laissez attendre ce mélange.

Battez les six blancs d’œufs en neige, lentement au début et lorsqu’ils commencent à devenir blancs, ajoutez-y deux fois 50 grammes de sucre. Accélérez le mouvement pour qu’ils forment un bec-d’oiseau.

Incorporez la poudre que vous avez laissée de côté, en soulevant la pâte du centre vers les bords, de haut en bas.

Remplissez une poche à douille, parsemez d’amandes effilées et réalisez des petits tas, comme pour les macarons de Tante Juliette, mettez-les à cuire à 160 degrés, pendant 35 à 40 minutes.

Pour l’onctueuse crème, dans le poêlon de mamy, faites chauffer un litre et demi d’eau avec 90 grammes de sucre, jusqu’à 125 degrés.

Cassez deux œufs dans un cul de poule, y ajouter les graines d’une gousse de vanille. Battez l’ensemble un instant avant d’y ajouter le sirop. Continuez à bien battre afin que les œufs ne cuisent pas.

Fouettez jusqu’au parfait refroidissement.

Avec un robot ménager, battez 125 grammes de beurre jusqu’au blanchissement.

Mélangez les deux préparations.

Dans une main, prenez une demi-coque, et fourrez-la.

Et fermez le baiser d’une demi-coque.

 

Un baiser.

Une douceur.

 

Le déjeuner sur l’herbe de Monet où la lumière flirte avec l’ombre.

Barbara, réalise quelques baisers tout doux, glisse ta main dans celle de ton frère et allez à l’abri du petit pont les déguster. Ses trois arcades vous souriront. Le bord de la rivière accueillera votre pique-nique.

Ne me pleurez pas.

Savourez les baisers. Un déjeuner sur l’herbe et soyez rassurés mes chéris, Claude Monet ne se sentira pas offusquer de votre sympathique présence.

 

Mes chers enfants, vous trouverez sur ma table de chevet, Le crépuscule d’une idole de Michel Onfray.

Dans mon lecteur CD, l’Intégrale de Jacques Brel… Les disques s’amusent à tour de rôle bien entendu.

Glissez vos pas dans les siens le long des ramblas anderlechtois… Retrouvez-le là où il attendait Madeleine avec ses lilas.

Dans mon lecteur DVD, Le Roi danse.

Sur mon bureau, un mélange de pastels, de pinceaux, d’encres, de feuilles… Ce qui nourrit mes pensées et ma créativité depuis que la musique m’a désertée.

 

Mes chéris, je ne m’amuse pas.

Je ne badine pas.

Je vous l’avoue !

Depuis des années, j’observe le clocher de la Collégiale Saints-Pierre-et-Guidon.

Il penche.

34 millimètres par an.

Vous ne me croyez pas ?

Visitez, observez ce monument, ses vitraux… et ses fondations qui se tassent.

 

Mes chéris,

Vous êtes un mélange poignant de passion joyeuse et de désespoir.

Depuis que vous habitez ma vie, je n’ai plus jamais été libre, puisque je vous aime.

Je vous aime. Images vivaces de ma mémoire.

Les petits bonbons au chocolat-café que vous quémandiez et le « clic » de leur boîte se refermant sur leur nombre toujours trop réduit pour vous rassurer.

Image fugace de ma mémoire.

Je n’aurai plus jamais le cœur léger, si heureux soit-il d’être délivré de mes souffrances, puisque je vous quitte.

 

Au soir de ma vie, il me reste mille façons de m’amuser avec le passé dont les plaisirs et les jeux demeurent pour moi, innombrables.

Vous souvenez-vous de la maison rose habillée de lierre et qui regardait la Lessepar la plupart de ses fenêtres ?

Rejoignez-la.

Cette brave maison vous racontera tant de contes et légendes et comptines rêveuses et poétiques avec en plus, cette touche de fantaisie dont vous, mes chéris, allez devoir cultiver la mémoire tout au long des jours sans moi.

Il n’y a pas d’âge pour s’amuser des histoires, chansonnettes et jeux d’enfants.

Ne l’oubliez jamais.

Le vent, balayant la vieille maison bancale, vous emmènera dans un grand opéra nocturne, il sifflera pour vous les premières notes d’une symphonie qui vous guidera jusqu’à la réalisation de vos vies.

Lorsque le doute surgira, écoutez l’Ouverture d’Egmont, opus 84, de Beethoven.

Les accords en dents de scie du début de l’ouverture font place à la mélancolie exprimée par les bois et les cordes. Ces répliques semblent se faire écho jusqu’à l’apparition soudaine d’un nouveau thème.

Un thème précipité,

Agité,

Rempli de tensions.

Cet hommage de Beethoven à la victoire du Bien, j’ai aimé l’interpréter au fil de ma vie.

L’hommage du Bien !

L’œuvre d’un artiste qui épouse la cause de l’humanité ! Le Bien !

La victoire du Bien contre le Mal !

Ne l’oubliez pas mes chers enfants. Le Bien !

Je radote…

Ne m’en veuillez pas.

 

Mes chers enfants,

Au Parc Josaphat, que vos pas vous conduisent au pied de la Fontaine d’Amour, il y a un escalier emmêlé de racines ne menant nulle part. Sa petite source chantonne une mélodie colorée : l’Amour.

Dans ce parc, vous trouverez de douces friandises à déguster dans ce havre de paix où se mêlent les chants des oiseaux, le rire des enfants, le parfum des fleurs.

Votre ronde de pas. Le ruisseau. Le vieux sentier. Les étangs. Les arbres centenaires. Et l’âne, sous ses yeux la branche d’un marronnier s’accouple avec son reflet dans l’eau.

L’amour est tout autour de vous.

Usez.

Abusez mes chers enfants.

 

Avant de vous quitter mes chéris, un dernier mot.

Soyez l’artisan de vos propres rêves !

 

Mes chers enfants,

Aimez, aimez, tout le reste n’est rien. 

Ces quelques mots de La Fontaine termineront mon message…

 

Aimez, aimez, tout le reste n’est rien. 

 

Christel Marchal

En quête de sens

lelabodesmots.blogspot.com

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