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"Le cycliste urbain", un nouvel article du dictionnaire post-philosophique de Didier FOND

Publié le par christine brunet /aloys

 

DICTIONNNAIRE POST-PHILOSOPHIQUE

 

LE CYCLISTE URBAIN

 

 

« Si on disait du mal ?... » (1)

 

Le déplacement à bicyclette ne date pas d’aujourd’hui et est, à l’origine, quelque chose de tout à fait valable et respectable. Malheureusement, depuis quelques années, ce qui était autrefois réservé à des gens sachant utiliser un vélo et rouler correctement en ville est devenu, par la grâce de certaines municipalités, une facilité offerte au premier abruti venu qui ignore les rudiments de la circulation.

 

Le cycliste urbain en général se divise en deux catégories :

 

- La première, sur laquelle il n’y a rien à dire, intègre les gens qui ont compris qu’on ne peut pas faire n’importe quoi sur un deux roues, qu’il y a des règles à observer et que le code de la route s’applique à tout le monde, y compris à eux. Ce sont ce que nous nommerons les « cyclistes urbains pourvu d’une intelligence normale, voire supérieure. »

 

- La seconde, sur laquelle nous allons nous étendre, a un nombre d’adhérents formidablement plus élevés que la première. Constatation déprimante, parce qu’elle sous-entend de graves problèmes quant à l’intellect d’une grande partie de notre population, notamment entre 20 et 35 ans, âges les plus touchés par la stupidité rédhibitoire.

 

Un bon exemple valant mieux qu’un long discours, nous allons évoquer le cas de la bonne ville de Lyon qui a eu l’idée (vite piquée par Paris) de mettre des deux roues à disposition de tout un chacun. Excellente idée sur le papier, et remplie d’implicites écologiques. L’huile de genou pollue moins que le diesel et son odeur est moins forte et moins désagréable (à voir) que celle des gaz d’échappement.

 

Néanmoins, néanmoins, dirons-nous, le « velov » n’est pas, à y regarder de plus près, une SI bonne affaire. Pourquoi ? Mais parce que n’importe qui -et surtout ceux dont le QI ne dépasse pas le 50- peut emprunter un vélo ou décider d’acheter un vélo, ou se rappeler qu’il/elle a un vélo pourri dans sa cave qui ne demande qu’à resservir. Finalement, on se retrouve devant le même problème que celui qui hante les grands cerveaux de l’Education Nationale : la massification. Et forcément, la chute de la qualité.

 

Le cycliste urbain catégorie 2 possédant l’intellect d’un chou-fleur ignore :

 

Les feux rouges : Il n’en a jamais vu de sa vie et pense que c’est encore une invention du PC pour se faire remarquer ; donc il est hors de question qu’il jette un soupçon de regard à cette chose malsaine.

 

Les sens interdits : Il se dit que c’est une jolie décoration. Mais pourquoi n’en avoir mis que dans certaines rues ?

 

les priorités à droite : L’abstraction est trop difficile. Et après le PC, la droite ! Et puis quoi, encore ?

 

Les « cédez le passage » : Mais pourquoi avoir tracé ces bandes sur la chaussée ? Ça, c’est salir la ville pour rien. Son ego écolo se révolte.

 

Les divers panneaux routiers jalonnant son chemin : Il trouve que les images sont jolies mais ne comprend rien au texte quand il y en a un : forcément, il sait à peine lire. [Oh, que c’est méchant, ça !]

 

Pour celui qui utilise son propre vélo, qu’il vaut mieux avoir une lumière au cul pour circuler la nuit : Etant lui-même une lumière, sa personne devrait suffire.

 

Le cycliste urbain cat. 2 roule de préférence au milieu de la chaussée, en zigzaguant de son mieux, le nez en l’air, et traverse les carrefours sans faire attention à ce qui se passe autour de lui. Quand il estime que la rue ne lui suffit pas, il envahit les trottoirs et fonce au risque de renverser le premier obstacle venu, que ce soit Vénus en personne ou Miss Tick.

 

Le cycliste urbain cat. 2 se prend pour un grand sportif : c’est pour cela qu’il ignore les règles élémentaires du code de la route. D’ailleurs, il ne fait que suivre les préceptes du Président d’une association d’usagers de bicyclettes, interviewé sur une radio quelconque et qui, en deux phrases, n’a pas peur de se contredire complètement. 9 h 10 : première phrase, mémorable : « faire du vélo est un véritable sport qui développe les muscles et l’endurance et c’est ça qui est bien dans ce moyen de transport. » 9 H 13 : deuxième phrase : « Les cyclistes ne peuvent pas s’arrêter aux feux rouges parce que redémarrer demande un trop grand effort physique. » (Véridique et sans commentaire.)

 

- Le cycliste urbain cat. 2 a sa fierté : on ne lui barre pas le passage impunément. Il vous insulte si votre voiture le frôle de trop près et vous insulte si vous avez l’outrecuidance de prétendre passer quand vous avez le feu vert et qu’il arrive à toute allure sur vous alors qu’il a le feu rouge et que freiner et surtout s’arrêter, c’est beaucoup trop lui demander.

 

- Le cycliste urbain cat. 2 hait les voitures qui puent, polluent, font du bruit, l’empêchent de respirer correctement (ce en quoi il rejoint le jogger), de circuler librement, bref, lui pourrissent la vie ; mais heureusement qu’il a la sienne pour partir en vacances.

 

BREF :

 

- Le cycliste urbain cat. 2, sans doute las de la vie, fait tout pour se faire expédier au cimetière avant son heure. Et gageons qu’il saura encore protester auprès de Saint-Pierre ou de Messire Satan, arguant que « c’est la faute de l’autre » s’il se trouve à cet endroit. Seul problème dans ce séduisant programme suicidaire : quiddu malheureux qui, sans le faire exprès, l’aura envoyé dans l’autre monde ? (Ou moins démoralisant : à l’hôpital ?) Ne parlons pas des assurances, là, le casse-tête devient trop abominable, mais du remords qui pourrait l’envahir alors qu’il n’est nullement responsable de la connerie du mort ?...

 

Conclusion : Engeance à éviter à tout prix.

 

(1) Merci Giselle et Lucienne.

Publié dans Nouvelle

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Extrait du prochain recueil de nouvelles "Nouveaux contes en stock" de Micheline Boland

Publié le par christine brunet /aloys

 

LE PETIT CHEMIN ET LE DIABLE

 

Depuis toujours, les Martin et les Dupont sont amis. Depuis l'école maternelle, Théo Martin et Lucas Dupont sont inséparables, comme avant eux, leurs pères et leurs grands-pères.

 

Théo et Lucas ont les mêmes passions. Ensemble, ils ont construit une cabane. Ensemble, ils s'occupent d'un petit potager. Ils partagent bonbons et chocolats. Ils se consolent de leurs chagrins et soignent leurs écorchures. On voit Lucas ? Théo n'est jamais bien loin. Théo apparaît quelque part, Lucas le suit !

 

Ils prennent chaque jour le petit chemin pour aller à l'école. On peut les voir observer une chenille, taquiner un âne, siffloter, chantonner, s'arrêter pour cueillir des fleurs qu'ils offrent à leur institutrice. Les deux amis ont appris que comme la plupart des femmes, Mademoiselle Catherine apprécie les jolies choses !

 

Il y a un personnage qui n'aime pas les deux amis. Ce personnage, c'est le Diable. Il jalouse leur bonne entente. Quand il les voit rire, avancer bras dessus, bras dessous, s'entraider à l'école, il voit rouge, le Diable. Alors, il cherche un moyen de troubler leur harmonie. Il cherche et il trouve…

 

Ce jour-là, sur le petit chemin, les deux gamins aperçoivent une voiture modèle réduit en or, oui en or. Ce qu'elle brille ! Ensemble, ils font "oh". Ensemble, ils se baissent pour la ramasser. Et là, la bagarre commence.

 

- C'est à moi.

 

- J'étais le premier.

 

Bang, un coup de pied dans les mollets ! Bang, un coup de cartable sur la tête ! Bang, encore et encore.

 

La voiture passe de Théo à Lucas et perd une roue dans la dispute. Le petit chemin est triste. Lui, il les aime bien les deux amis. Il se doit de faire quelque chose pour qu'ils se réconcilient. Il réfléchit, réfléchit, tandis que pleuvent les coups de pied et de poing.

 

Finalement, il s'entrouvre un peu et engloutit la voiture qui vient de tomber. Surpris, les deux amis se regardent, ils fouillent le sol. Rien. Lucas et Théo creusent un peu plus. Rien.

 

- Zut et zut !

 

- C'est mieux ainsi. Faisons comme si cette voiture n'avait jamais existé. Elle ne nous a apporté que de mauvaises choses.

 

Et nos deux amis continuent la route vers l'école.

 

Le Diable est fâché. Le petit chemin sourit. Pour lui, rien ne vaut une amitié sincère.

 

Le temps a passé, le petit chemin a été élargi, on en a fait une route de campagne. Souvent Lucas et Théo vont y rouler à vélo. Même s'ils ont grandi, ils sont restés les meilleurs amis du monde.

 

Le lendemain du mariage de Lucas et Théo, car nos deux amis se sont mariés le même jour, on commençait de grands travaux. La petite route allait devenir une route nationale.

 

En voyant cela, le Diable s'est vraiment mis en colère, mais cela est une autre histoire.

 

 

Micheline Boland

Extrait de "Nouveaux contes en stock" (parution en 2017)

 

Publié dans Nouvelle

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"Une plume à l'odeur d'asphalte" d'Alexandra Coenraets

Publié le par christine brunet /aloys

Une plume à l’odeur d’asphalte.

 

Je suis sans domicile fixe depuis quelques mois.

Chez moi, c'est partout et nulle part. Sans boulot, sans appart, sans argent. « Sans » : préposition de circonstance. Je ne rentre plus dans les cases. Ou plutôt si, je suis hors-champ mais pas hors catégorie. On me colle maintenant une étiquette d'un nouveau genre. Celle qui correspond aux exclus et marginaux. De moins en moins marginaux, en fait.

Les sans-abris, ça commence à courir les rues !

Ah ah...

Oui, j'arrive à en rire.

L'humour.

Mêlé d'un soupçon de cynisme.

Un soupçon ?

Vous rigolez !

Des litres !

Recrachés aussitôt, car je refuse de les ingurgiter comme autant de couleuvres qu'une société hypocrite voudrait nous faire avaler de force. (Mais ça veut dire quelque chose, ce que je viens d'écrire, là ? Les mots sortent d’eux-mêmes. Sans chaperon, ils sont grands). Je me relirai ce soir, peut-être. Je changerai quelque chose, peut-être. Ou pas.

Revenons à nos moutons. (Oh...Bulle de rêve : « dessine-moi un mouton », demandait-il, l'ange blond, celui qui sommeille en chacun de nous, me dis-je, quand je suis dans ma phase « Bisounours »).

La vérité, c'est que :

Je leur crache à la gueule !

Aux hypocrites !

J'ai la haine...

Du haut de mes vingt-cinq ans. A la rue, déjà ? Ben quoi, y a pas d'âge !

Me blinder, me barricader pour survivre. Dans la rue, c'est l'horreur et quand t'es une femme, tu vis carrément l'enfer. Bouh, je me relis plus tôt que prévu...c'est mal écrit, je trouve. M'en fous. De toute façon, personne ne me lit, à part moi.

Ben oui, c'est censé être le principe du journal intime, non ? Bref, cher journal, selon la formule consacrée, je te commence pour tuer le temps et surtout, pour ne pas crever. Ne pas crever. Il faut bien que je trouve une parade. Que je crie mon cri que personne ne veut entendre. Un sans-abri, oh pardon, UNE sans-abriE (euh..), ça ne crie pas, parce que sinon, ça dégage.

« ça ». On est réduits au rang de choses.

Cette déshumanisation n’est pas réservée qu’aux SDF, je suis d'accord. Nous ne sommes pas les seuls à être chosifiés, ok. On est bien peu de choses...Quelle expression stupide.

Alors voilà, il faut que j'écrive. Besoin impératif. Vital. Et ça ne se commande pas, ne s'interdit pas, ça se vit.

Cette histoire de « ça » me contamine, j’en sème à tout vent. Arrête donc avec « ça » ! (j’aime que personne ne me lise, pouvoir tâtonner du verbe, jouer avec les mots, voguer de digression en digression, et tutti quanti, sans m’inquiéter de plaire. Jouissif). Dernier espace de liberté, ce cahier.

Je ne subirai pas l’ire des critiques, ni celle de l’Académie française, pour me juger trop futile, handicapée de la plume, traître à la langue de Molière, incapable d’en faire bon usage (mais quid du style Marc Levy ?). De toute façon, je n’ai aucune chance de faire partie du cénacle de ces auteurs cotés et courus.

Aucune.

Je n’essaierai même pas.

C'est perdu d'avance. Sauf pour raconter mon témoignage de femme sans-abri. Eh bien, hors de question. Je ne supporterais pas qu’on m’instrumentalise par sensationnalisme. Bien sûr, c’est nécessaire de témoigner. Mais pas moi. Voilà pourquoi j'écris ici. Pour ne pas être lue et m'en donner à cœur joie. Comme bon me semble. A ma guise. Du vague à l'âme qui s’exprime sur papier.

J'aime écrire. J'ai même rédigé le journal de l’école, en son temps. Il y a déjà longtemps. « Avec le temps, va, tout s'en va... ». Soit.

Honte. Comme j'ai honte.

Je suis là, à griffonner, assise sur un carton. C’est l’été, il fait bon. La douceur du soleil glisse sur ma peau, sa chaleur m'enveloppe amoureusement, pénètre mes pores, diffuse son énergie dans chacun de mes membres. L’astre de lumière semble savoir ce dont j'ai besoin. Baume au cœur. Au corps. Ephémères instants qui me laissent croire en la vie.

Je repense à l'ange blond. Le Petit Prince...Lui, son chez-lui, c'était sa planète. Emmène-moi visiter ton chez-toi, s'il te plaît. Je suis sûre qu'il y fait doux. Alors qu'ici, c'est dur. Très dur. Et pas seulement le contact de mes fesses sur le trottoir pavé. Le reste aussi.

Voilà ce que je lui dirais.

Je griffonne des mots comme d'autres gratouillent la guitare. Pour m'occuper, donner du sens, garder contenance. Mais pas pour les sous. Qui m’en donnerait ? Personne ne me lit.

J'ai le regard qui rase le sol et justement, je suis au ras du sol, ça tombe bien.

Niveau olfactif, pas de grande satisfaction, je me choppe les délicieuses effluves de gaz d'échappement.

Ah, si je pouvais m'échapper....L'ange blond, tu m'entends ? Emmène-moi loin d'ici !

C'est idiot, cette situation, je suis aussi valable que n’importe qui. Ce n'est pas la question, tu le sais bien ! Oh, maintenant, je discute avec moi-même...LOL. On meuble la solitude comme on peut. Non, je n’ai pas rencontré de nouveaux amis. Me faire harceler une fois ou deux m'a largement suffi.

Ce n'est pas la question, disais-je plus haut, parce qu'ILS ne se sont pas gênés pour me virer. Et du boulot, je n'en ai pas retrouvé. Décrocher un Master en Histoire de l'Art pour aboutir dans un Call Center n’était pas ce dont je rêvais. Un jour, j'ai pété un câble. D'épuisement. A force d'être robotisée, je me transformais en machine. Il me restait un zeste d'humanité. Ensuite, le cercle vicieux, et tout s'enchaîne en moins de deux.

J'ai honte.

Et puis j'écris. Parce que depuis toujours, j'écris.

J'aime l'art, j'aime la beauté.

La rue, c'est beau, parfois. Surtout inondée d'un rayon de soleil qui fait scintiller l’asphalte ! La rue, c'est mon chez-moi. Pour l'instant. C'est temporaire...Je l'espère.

Un journal intime sans indiquer la date, vil sacrilège ? Permis ou non, peu m'importe, je ne mentionnerai pas quel jour on est. Parce que dans la rue, le temps s'abolit. Les heures se noient dans l'air comme le regard se brouille, on ne sait plus très bien qui que quoi dont où, et la notion du temps, je la perds plutôt souvent. Je n’ai même plus de portable. L'astuce alors : me repérer en fonction de la sortie des bureaux. Là, il est midi, ils vont manger. Il doit être aux environs de 17h, car ils ont fini leur journée. Je ne lève pas le nez de mon cahier. J'entends leurs pas pressés, je sens leurs vibrations d'hommes et de femmes très, très occupés.

Tandis que moi...Je griffonne, pour personne, sauf moi. Je n'ai que moi, et je tiens à moi. C'est ce qui me fait tenir.

Mon chez-moi, c'est aussi mon corps. Nous sommes ensemble en permanence. Forcés de cohabiter. Il m'abrite d'autant plus que je suis officiellement SANS ABRI. Et paradoxalement, je m'incarne d'autant plus en lui. Davantage exposée aux éléments, aux bruits, aux sons, aux agressions, je vois mes sensations démultipliées. Je me sens habitée comme jamais. Mon corps, c'est mon dernier rempart, mon ultime frontière entre moi et les autres. L'extérieur. De mes contours, je ne peux m'extraire, sauf quand j'écris. Alors, j'écris. Pour ne plus ressentir. Ecriture automatique, mécanique, qui agit comme un antalgique. Pour calmer la douleur. C'est magique.

L'abandon.

Il est terrible.

Bonjour mon journal,

Comme je me sens abandonnée.

Surtout le soir et la nuit tombée.

De fatigue, je ferme les yeux et laisse le sommeil me gagner. Repliée dans mon sac de couchage, j'ai élu domicile (c'est provisoire) à même le carrelage qui jouxte l'entrée d'un magasin. J'aurai déserté les lieux au petit matin, bien avant l'ouverture.

Ah, si les portes pouvaient s'ouvrir... Si seulement je détenais les clés de ma vie qui part en vrille.

Peut-être les ai-je déjà, sans m'en rendre compte ?

Anesthésie nocturne bienvenue.

Dors bien, bonne nuit, à demain. Que l'ange blond vienne illuminer mes rêves.

...

Bonjour mon journal,

Comment vas-tu ? As-tu bien dormi ? De mon côté...le repos fut de courte durée. Il fait clair, le jour s'est levé. Je suis passée prendre un café suspendu1 au bistrot du coin. J'en ai profité pour me débarbouiller. Me sentir un peu moins sale. Un répit.

Oh, le café chaud coule dans ma gorge...Le bonheur.

Bon, quel est le programme de la journée ? Regarder le ciel ? Oui, pour prendre le soleil, car il est au rendez-vous. Griffonner encore et encore ? Certainement.

Attendre, agir, se rendre à l'une ou l'autre administration ou institution pour tenter de m'en sortir... Je ne fais que ça et c’est kafkaïen.

Ces jours-ci, j'entame une trêve, je fais la grève, te confie mes humeurs, et tu te mues en compagnon de galère. Ferais-tu office de nid douillet, cher journal ? Je me sens chez moi, chez toi, mon Journal. Ta page blanche que je remplis avidement m'offre un accueil bienveillant, je suis en sécurité dans ton giron. Bulle apaisante. Je fusionne avec les phrases naissantes, lovée entre tes bords bien tracés. Tu recrées le berceau de mon enfance oubliée. Je me sens fœtus dans le ventre d'une mère, plus rien ne peut m'arriver.

Tu me protèges et me fais rêver. Je suis au paradis, on dirait que l'ange blond m'a entendue depuis sa planète, qu'il s'incarne par l'intermédiaire de mes doigts et s'immisce jusqu'à la pointe de mon stylo.

J'écris à la main dans un cahier usé, vivant ; il m'accepte comme je suis, inconditionnellement.

Merci.

Ah...Tu l'as remarqué aussi ? Tu devines mes états d’âme, quelle perspicacité ! Je suis plus émue qu'hier. Parce que je réalise à quel point tu comptes pour moi. Je te nomme « quasi-prolongement de moi-même ». Solennellement.

Cher Journal,

Je n'écrirai pas mon nom, parce que je suis sans nom. Sans abri et sans nom, puisque je n'existe pas. Non, ma colère ne s'apaise pas.

Un toit. Une chambre me suffirait. Une chambre à moi2.

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Micheline Boland nous propose une nouvelle extraire de son prochain recueil "Nouveaux contes en stock"

Publié le par christine brunet /aloys

 

LE PRINCE PEUREUX

 

Il était une fois Albéric, un prince héritier très peureux. Il a peur des souris, des araignées, des fourmis, des guêpes, du noir, des chats, des chiens, des militaires, des grandes étendues d'eau, des feux d'artifice, des bruits soudains, des mauvaises odeurs, des orages, des brouillards… Bref, il a peur de tout ! La reine Maud le rassure comme elle peut, mais à l'impossible nul n'est tenu. Et puis, la patience des reines, elle a aussi ses limites !

 

La reine Maud engage donc Pierre, un jeune assistant, qui suivra le prince partout. Quand je dis partout, c'est partout ! Le prince part en promenade, Pierre le suit ! Le prince reçoit son précepteur, Pierre assiste à la leçon ! Le prince reçoit ses amis pour son anniversaire, Pierre souffle les bougies. Le prince regagne sa chambre, Pierre dort sur sa descente de lit !

 

À force d'écouter les leçons, à force de souffler des bougies, à force de…, à force de… Pierre se lasse et quitte le palais.

 

La vie d'Albéric est un enfer pavé d'appréhensions. De crainte de se blesser, il refuse d'apprendre le maniement des armes. De crainte d'être mordu ou de tomber, il refuse de monter à cheval comme le fait son père et comme le faisait son grand-père. De crainte de dire des bêtises, il se tait.

 

Pourtant, même s'il disait une bêtise, qui oserait se moquer ouvertement d'un prince, je vous le demande ?

 

Face à son grand dadais de fils, la reine Maud commence sérieusement à s'énerver. Elle convoque Lamina, la fée, la marraine du jeune prince : "Lamina, trouve un remède ! Je te récompenserai largement. Après tout, c'est peut-être une de tes amies qui lui a jeté ce mauvais sort."

La fée concocte une potion qu'Albéric boit, mais sans réel effet. La fée lui offre une amulette qu'Albéric porte autour du cou, de jour comme de nuit, avec un résultat nul.

 

"Incapable ! Bonne à rien ! À quoi servent les fées si elles ne sont pas utiles à la bonne marche du royaume ?"

 

La Reine a parlé et quand elle a parlé…

 

La fée bredouille : "Majesté, le cas est sérieux. Je ne vois qu'un remède : il faudrait trouver dans le royaume quelqu'un d'encore jeune qui accepte d'endosser les peurs de Monseigneur le Prince ! C'est là, je crois, sa dernière chance."

 

- Eh bien, si le remède est tellement simple, trouve-moi ce jeune homme…

 

- Mais Majesté…

 

- Il y a plein d'hommes jeunes dans le royaume…

 

- Mais Majesté…

 

- Il n'y a pas de mais, fais ce que je te dis et vite… Je ne lésinerai pas sur la récompense… De l'or, des bijoux, des pierres précieuses… À une seule condition : ne pas ébruiter l'échange auquel cette personne aura consenti…"

 

À la nuit tombante Lamina se rend chez les plus pauvres d'entre les jeunes nobles. Hélas, tous savent combien les peurs du prince sont importantes et tous refusent ! Personne ne veut passer le reste de sa vie à éviter l'obscurité, le grand jour, les petites bêtes et les grosses, les sports violents, les jeux de société. Sans parler des femmes et des ennemis ! Ce serait la honte à perpétuité. Ils préfèrent encore tirer le diable par la queue !

 

Désespérée, Lamina va voir les jeunes hommes du peuple ! Elle leur fait miroiter la récompense, l'or, les diamants. En vain…

 

Non, décidemment, personne, personne n'accepte !

 

Les visites de la fée lui ont révélé l'étendue du problème ! Un troubadour a osé composer cette chanson : "Je voudrais être roi, j'ai vraiment peur de tout. Je voudrais être roi, mais tout le monde s'en fout…" Chanson interdite bien sûr, chanson qu'on chante entre amis quand toutes les portes et les fenêtres sont bien fermées… Dans le royaume on rit plus ou moins gentiment d'Albéric ! Il y a même eu quelques vieilles filles royalistes qui ont fait neuvaine sur neuvaine… On sait ce que ça donne !

 

Lamina fait son rapport. La reine Maud est effondrée. Qu'adviendra-t-il de son fils quand elle ne sera plus là pour le soutenir et que son royal père n'aura plus les forces d'exercer sa royale fonction ?

 

"Alors ma fille, il faut te débrouiller. Oblige quelqu'un à accepter.

 

- L'affaire n'est pas si simple, Majesté, il faut que ce soit volontaire.

 

- J'exige… Un point c'est tout ! Tu entends, j'exige !"

 

Exiger, c'est facile. Trouver la solution l'est beaucoup moins…

 

"Enfin Majesté, il y a encore une petite ouverture… Je connais une princesse…"

 

C'est que les fées sont comme les autres personnes, elles ont des relations et des stratégies bien à elles !

 

C'est ainsi que le prince est présenté à Zélia, une princesse étrangère, amoureuse folle des beaux yeux bleus et des jolies boucles brunes d'Albéric, depuis qu'elle l'a aperçu à la cérémonie de couronnement de son père. Le problème est que Zélia est tout aussi craintive que lui ! Tellement craintive qu'elle a peur de tout ! Tellement craintive, mais tellement amoureuse.

 

La rencontre entre les deux fiancés a lieu dans le plus grand secret, dans le petit salon bleu du palais, l'endroit même où, paraît-il, Albéric avait été conçu, un soir de folie !

 

Albéric tombe sous le charme de Zélia et la magie opère ! À présent, pour l'amour de Zélia, Albéric chasse les souris et les ours, monte à cheval, enlève les toiles d'araignées et manie l'épée comme un guerrier. On dit qu'il aime particulièrement les soirs d'orage qui lui offrent l'occasion de tenir très longtemps sa jolie princesse entre ses bras.

 

Micheline Boland

Extrait de "Nouveaux contes en stock" (parution en 2017)

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L'éternel retour, une nouvelle signée Didier FOND

Publié le par christine brunet /aloys

L’ETERNEL RETOUR


 

Un long sifflement déchire l’espace, aussi terrifiant que le dernier cri d’un agonisant. Coincé entre la cloison et de multiples corps qui se pressent contre lui, l’homme sursaute et ouvre les yeux. Le sifflement retentit encore ; c’est celui d’une locomotive. Il prend peu à peu conscience de l’endroit où il se trouve : une odeur infecte de sueur, d’urine et d’excréments enfle ses narines et lui donne la nausée. Mais il ne peut pas vomir ; il étouffe, il voudrait de l’air, juste un peu d’air ; impossible. Il est trop loin de l’étroite lucarne par laquelle pénètrent parfois quelques lueurs nocturnes et un peu –si peu- d’un air aussi glacial que doit l’être le vent du pôle…

Où est-il donc ? Que fait-il ici, dans ce train ? Qui est-il ? Il ne se souvient de rien, pas même de son nom. Et pourquoi ressent-il une telle peur, si lourde, si atroce, qu’il voudrait crier, joindre sa voix à celle des autres dont les râles, les pleurs, les gémissements, forment une symphonie aussi dissonante que funèbre ? Il ouvre la bouche essaie désespérément d’aspirer quelques goulées d’air puis d’exhaler enfin ce cri d’horreur et d’angoisse qu’il sent monter en lui et qui se refuse à sortir. Mais sa gorge nouée ne laisse passer aucun son.

Il sent tout à coup une main se saisir de son bras droit, le serrer avec force, puis la pression se relâche, la main l’abandonne ; quelque chose le frôle, il ne sait pas ce que c’est. Cela descend, descend tout le long de son corps, jusque vers ses chevilles. Une voix d’homme, à côté : « ça y est, il vient de mourir. Marchez lui dessus, de toute façon, il ne sent plus rien et ça fera un peu de place. »

C’est sur le corps d’un mort que ses pieds reposent désormais. A cette horreur répond l’épouvante qui le taraude sans répit depuis qu’une certitude, venue il ne sait d’où, s’est imposée à lui : il va mourir, ce train, c’est le train de la mort, une mort terrible à qui nul dans ce wagon ne peut échapper.

Et le temps passe, la locomotive siffle, le wagon cahote sur ses roues, les cris s’éteignent dans un autre brouhaha ; le train a ralenti, il marche au pas maintenant ; une voix s’élève, angoissée : « je vois de la lumière… Il n’y a pas de nom… Je ne sais pas où l’on est. » Le train s’arrête.

Une monstrueuse cacophonie éclate au-dehors ; tandis que les serrures du wagon sont déverrouillées, retentissent des aboiements de chien, d’autres cris, bien plus menaçants que ceux entendus dans le train, et des ordres, hurlés à plein poumon dans une langue qu’il reconnait immédiatement : « Raus ! Raus ! Schnell ! » C’est de l’allemand. Il est donc allemand, ou il parle cette langue. Mais son identité, à cette heure, à cet endroit, a-t-elle encore de l’importance ?. Hébété, il saute du wagon, suit docilement, en courant, la file de gens qui se pressent vers l’avant du train. L’obscurité est presque totale, çà et là, quelques lampes éclairent le convoi. Il faut courir, courir, en évitant les bagages abandonnés à terre, en évitant aussi les coups de gourdin généreusement dispensés par les gardes.

Au bout, un homme en uniforme de SS tient une cravache à la main. D’un mouvement régulier, il désigne sans un mot la droite, la gauche, alternativement ; ses gestes sont d’une précision presque mécanique ; son regard fixe semble ne voir personne. Pas un atome de vie dans ses yeux, comme si lui-même était déjà mort.

Sans savoir pourquoi ni comment, il se retrouve tout à coup nu, au milieu d’autres gens nus eux aussi, dans une pièce qui semble être une salle de douche. Il fait atrocement froid, ils se serrent les uns contre les autres. Son regard se tourne vers les pommeaux de douche suspendus au-dessus deux : l’évidence devient aveuglante ; ce n’est pas de l’eau qui va tomber du plafond, mais autre chose, de bien plus terrible. C’est la mort que vont transporter ces tuyaux, une mort effroyable que pressentent déjà tous ces corps compressés et qui, d’une seule voix, hurlent leur terreur et leur refus de disparaître ainsi. La lumière s’éteint, les cris deviennent assourdissants ; la plus horrible angoisse s’est de nouveau emparée de lui : il ne veut pas mourir, pas comme ça ; il se débat, de toutes ses forces, mais le gaz fait peu à peu son effet : l’air se raréfie, le poison envahit la salle, les cris deviennent râles ; il étouffe, la douleur est atroce, mais plus forte que la douleur, il y a encore cette immonde peur qui le prend à la gorge, et loin de l’aider à mourir, le force à se débattre encore, à griffer le plafond de ses ongles, les yeux révulsés, la bouche grande ouverte, comme pétrifié dans un hurlement muet…

Ta peur, ta souffrance… Tout ce que tu as ressenti jusqu’ici, c’est cela que tu as infligé à des milliers de malheureux. Pour toi, l’univers est vide ; pour toi, le ciel n’a plus d’aurores ; le pardon est impossible. C’est maintenant ton tour de payer, SS Obersturmbannführer Höss. Dans l’éternité des éternités, je te condamne à refaire sans fin ce voyage vers la mort, dans l’indicible angoisse des condamnés…

… Un long sifflement déchire l’espace, aussi terrifiant que le dernier cri d’un agonisant. Coincé entre la cloison et de multiples corps qui se pressent contre lui et gémissent, l’homme sursaute et ouvre les yeux. Le sifflement retentit encore ; c’est celui d’une locomotive. Il prend peu à peu conscience de l’endroit où il se trouve : une odeur infecte de sueur, d’urine et d’excréments enfle ses narines et lui donne la nausée…


 

Didier Fond

Publié dans Nouvelle

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Didier Fond nous propose un petit texte...

Publié le par christine brunet /aloys

 

DICTIONNAIRE POST PHILOSOPHIQUE

 

ARTICLE « LE JOGGER »

 

 

 

Informations Lexicales :

Vocabulaire venant de l’anglo-saxon, ce qui n’a rien d’étonnant vu ce qu’il trimballe.

 

Verbe : jogger, premier groupe ; se conjugue sur le modèle de « chanter ».

 

Noms : un jogger, une joggeuse, le jogging ; les deux premiers s’accordent en genre et en nombre avec le verbe. Le troisième ne s’emploie qu’au singulier, dieu merci.

 

Expression : « faire du jogging » ou encore mieux « faire son jogging ». Le possessif est ici une indication précieuse dans la mesure où l’on pourrait penser que le jogger jogge le jogging d’un(e) autre.

 

Synonymes de l’expression et du verbe : tirer une langue de bœuf, courir comme un pied et parfois sur un pied, sentir mauvais, dégouliner de sueur, chercher la crise cardiaque à tout prix, ahaner, (en) baver.

 

Dérivés : hygiénisme, vouloir maigrir, se maintenir en forme, crever le plus tard possible, faire comme tout le monde, évacuer le stress, courir en papotant, avoir l’air très ridicule.

 

Origine et description :

 

Le jogger (dont la femelle est la joggeuse) est une espèce dérivant d’un croisement contre nature entre l’être humain et le mouton. Il est doté de deux pattes arrière sur lesquelles il court à des moments bien précis, le matin entre 9 heures et 11 heures mais surtout en fin d’après-midi, à partir de cinq heures. Son lieu privilégié : le parc de la Tête d’Or à Lyon. Mais il existe bien d’autres endroits en France où l’on peut rencontrer cet animal heu… extraordinaire ? Da : extraordinaire.

 

Le jogger n’a pas deux idées en tête mais une, ce qui lui simplifie grandement la vie : courir n’importe où (par exemple dans des rues archi super polluées), pas vraiment n’importe quand mais surtout n’importe comment. Son origine humaine lui permet de penser qu’il se fait du bien en s’exhibant dans des tenues souvent désopilantes et en s’imaginant qu’il va devenir quasiment immortel grâce à ses trois tours de parc quotidiens. Son origine ovine le pousse à écouter tout ce qu’on dit sur les bienfaits de l’exercice physique et à appliquer ces principes à la lettre, sans même se demander s’il en a les capacités.

 

Utilité générale et principale du jogger :

 

Aucune.

 

Utilité générale et secondaire du jogger :

 

Etre un superbe divertissement pour ceux qui le regardent.

 

Utilité économique :

 

Le jogger a deux utilités :

 

Il permet aux magasins d’articles de sport d’être florissants et aux actionnaires des grandes marques de gagner encore plus de fric.

 

Grâce à ses foulures, entorses, fractures diverses et crises cardiaques, le jogger permet également au personnel de santé des hôpitaux publics et cliniques privées de ne pas trop s’ennuyer.

 

Utilité esthétique :

 

Absolument aucune.

 

Utilité personnelle :

 

Le jogging permet à un certain nombre de joggers de frimer en montrant leurs belles cuisses, leurs belles jambes, et leur beau torse. Les autres relèveraient plutôt du cauchemar.

 

Utilité civique :

 

Comme on l’a dit plus haut, le jogger n’ayant qu’une idée en tête, il est un excellent citoyen.

 

Descendance du jogger :

 

Certainement trop nombreuse, hélas.

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« FANTINE » de M-Noëlle Fargier

Publié le par christine brunet /aloys

 

 

« FANTINE » de M-Noëlle Fargier


 

J'aime "les seconds rôles"...Il en est un qui m'a toujours interpellée, touchée. Celui de Fantine, la mère de Cosette dans "Les Misérables" de Victor Hugo. Cette femme si forte et pourtant si fragile....

Fantine

On ne sait pas grand-chose d'elle, enfant. On peut l’imaginer lorsqu’elle vivait à Montreuil. On peut l'imaginer courant dans une prairie, les cheveux au vent. On peut l'imaginer tremper les pieds dans la rivière qui coule près de sa vieille maison, avant de rejoindre la grande bleue. On peut l'entendre rire quand les petits vairons chatouillent ses orteils. On peut la voir s'asperger le visage de ses mains fines et sales. On peut la contempler sous le soleil qui lance des reflets dorés sur sa longue chevelure. Et puis, cueillir un fruit du pommier centenaire et y croquer à pleines dents. Et puis, s'asseoir à son ombre bénéfique et rêver...

Faire de sa robe jaunie, un habit lumineux de papillons colorés. Remplacer ses sabots usés par de fiers souliers argentés. Transformer sa vieille maison en un château. Oui, elle partira. Oui, elle s'enfuira. Oui, elle ira dans cette ville lumière qu'on appelle la capitale. Oui, elle découvrira les cathédrales et leurs dorures, bien plus divines que la petite église de son village. Oui, elle s'enfuira. Puis, elle travaillera, elle aime tout faire, et puis elle sait si bien coudre. Elle se promènera sur les beaux faubourgs fleuris, vêtue d'une robe blanche. Elle rencontrera un bel homme qui l'aimera dès leur premier regard. Il lui dira les mots qu'elle n'a jamais entendus, des mots d'amour, d'amour éternel. Ils se marieront, auront une magnifique demeure avec un grand jardin d'herbe douce, de fleurs multicolores où l'air se déguisera de mille senteurs. Elle lui donnera un enfant, une fille qui lui ressemblera. Comme sa maman, elle sera habillée d'une jolie robe...rose. Elle portera une magnifique poupée en porcelaine, blonde comme elle. Lui, dans un costume sobre et élégant, elle, dans sa robe blanche, tiendront la main de leur fillette. Et tous trois riront tant de leur vie facile, si légère sous le ciel bleu de Paris. Oui, elle partira....

Paris est majestueuse, comme dans ses rêves ! Belle Fantine, son rire résonne encore de ses espoirs infaillibles, de ses projets, de ses rêves, sur les pavés de la cité. La lourdeur de sa blondeur échevelée respire ses belles années. Insouciance. Elle marche, tête haute, intrépide. Ses yeux bleus dévorent ses lendemains qu'elle sait beaux, qu'elle sait heureux, qu'elle sait sereins. Oh belle Fantine ! Ses perles blanches, elle sait les montrer, elle rit si fort à son présent, à son destin. Sûre d'elle, comme de chaque être qu'elle aime. Chaque homme, chaque femme qu'elle croise semble voué à illuminer sa vie, à la faire rayonner. Belle Fantine ! Elle mord la vie, la savoure, la partage. Parfois, ses moments de pudeur calment son air enjoué, et elle devient grave. Elle commence à apercevoir les ombres données par celle qu’elle nomme « la dame de Paris » derrière laquelle se cache la misère, la tristesse. Ces moments lui donnent un air qu'on pourrait croire dédaigneux : objet d'attirance pour cet homme, Tholomyès. Il est là, son prince. Plus vieux, chauve, édenté, certes. Mais le regard et les mots tels qu'elle les avait rêvés. Passionnée de lui, elle devient. Petit oiseau téméraire se posant sur cet épouvantail d'oracle. Passionnée de lui, elle se donne. Passionnée de lui, elle enfante. Oh belle Fantine ! Cet être en qui elle croyait, cet être qui lui a promis le soleil éternel... brûle sa chair. Et chaque être qu'elle croise sur son chemin calcine ses plus sincères croyances.

Mais sa fille, sa Cosette est bien réelle et si fidèle à celle de son rêve ! Pourtant, elle n'est pas vêtue de la jolie robe, elle ne porte pas la ravissante poupée. Elle a seulement faim. Et elle, elle doit la confier pour la sauver. Qu'elles sont belles les paroles de cette famille adoptive avec leurs sourires si sincères, leurs enfants si aimants ! Cosette sera heureuse ! Bien sûr, il faudra donner quelques sous à ces braves gens. Mais elle travaillera. Le monde est tellement bon, toujours là pour l'aider ! Malheureusement, sa belle Cosette tombe malade. Ces pauvres gens, si dévoués au bien-être de Cosette, réclament de plus en plus de sous à Fantine. Il ne lui reste rien. Que son corps. Comme il a donné la vie à son enfant, il va devenir la source de sa survie. Elle le vend. Ses cheveux saccagés, sa bouche cloisonnée sur son rire amputé, édentée, pour nourrir son enfant, la soigner, et lui offrir ce beau jouet. Cette foi, offerte pour quelques mots, un peu de poésie, un petit sourire, aujourd’hui ne se dessine que d'un seul nom "Cosette", sa fille. Elle s’oublie. Et pour cause ! Qu'ont-ils fait d’elle et de ses rêves ?

- De la chair meurtrie, des espoirs brisés.

Ses yeux si bleus, violés de cernes creusées par des mains obscènes. Sa bouche qui ne rit plus et se tait. Son corps assassiné par son âme trop pure. Un homme regarde Fantine, vestiges de la main humaine.

Il ne reste d'elle que cette chose : un corps mourant et des rêves...Le seul que sa vie terrestre ait exaucé et qu'elle doit quitter, sa fille Cosette. Elle le confie à ce Monsieur, si digne, si aimant qui la regarde mourir, Monsieur Madeleine. Cet homme ignoblement accusé, ignoblement enchaîné pour un morceau de pain. Cet homme défenseur du plus faible, et coupable lui-aussi, sans le vouloir, du destin de cette femme. 


 

Cet homme qui va porter le seau, rempli de cet eau limpide et si lourd pour cette petite fille. 

Si lourd des chimères de sa mère, peut-être......

 

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Didier Fond nous propose une nouvelle définition...

Publié le par christine brunet /aloys

 

DICTIONNAIRE POST-PHILOSOPHIQUE : ARTICLE « LE BLOGGER »

 

 

 

Extrait d’un article paru dans le quotidien Le matin de Sirius et signé d’un certain Micromégas.

 

« L’espèce étrange qui peuple la planète dont nous avons longuement parlé dans les articles précédents se divise notamment en deux catégories : les bloggers (ou blogueurs, ou blogers, voire blagueurs) et les autres. C’est cette première catégorie qui retiendra aujourd’hui notre attention.

 

« Déjà, une première remarque s’impose : les différentes façons d’orthographier le mot désignant ces êtres humains est un indice fondamental de la difficulté à cerner réellement qui sont, sur le plan de la personnalité – voire de l’utilité- ces fameux bloggers.

 

« Ce sont des gens qui s’expriment : c’est leur particularité essentielle. Le support qu’ils utilisent pour « s’exprimer » est une machine totalement dépassée et obsolète dans notre monde et qu’ils nomment pompeusement « computer » ou « ordinateur » -tout dépend de la langue dans laquelle ils « s’expriment ».

 

« Le verbe « bloguer » et les expressions « tenir un blog », « faire un blog », « remplir un blog », « se répandre sur un blog », « blablater sur un blog » désignent l’action de « s’exprimer ». Quant au « blog » lui-même sur lequel ils « s’expriment », c’est une chose abstraite qui prend forme sur la lucarne du « computer » quand vous avez tripoté pendant dix minutes un nombre incalculable de « touches » collées sur un « clavier ». Le blogger est donc assis devant son « computer » et tape sur le « clavier » ce qui lui permet –ô magie technique- de faire apparaître sur sa lucarne les mots qu’il a laborieusement choisis dans son cerveau en pleine ébullition puisqu’il lui faut à la fois réfléchir au contenu, au contenant, à la forme, à l’orthographe, à la syntaxe de ses phrases, tour de passe-passe inouï que tous les bloggers, hélas, ne réussissent pas à chaque tentative.

 

« Vous l’aurez compris, chers lecteurs : en définitive, le blog n’est rien d’autre qu’une plate-forme électronique pour éjection de déjections mentales.

 

« Voyons maintenant qui sont les « bloggers » : nous en avons rencontré quelques uns et surtout, nous avons passé deux mois, lors de notre séjour dans ce monde délirant, à « surfer » (1) sur les blogs.

 

« Avant tout, le blogger est quelqu’un qui a des convictions fondamentales :

 

1) Il est sûr d’avoir quelque chose à dire ;

2) Il est encore plus sûr que ça va intéresser les autres ;

3) Il est plus que convaincu que son opinion vaut la peine d’être connue et partagée ;

4) Il est persuadé que personne ne peut passer une bonne journée sans être allé faire un tour sur son blog ;

 

« Fort de ses convictions, le blogger énonce péremptoirement son avis sur tous les sujets possibles et imaginables. Comme tous les bloggers n’ont pas forcément les mêmes névroses, pardon, les mêmes intérêts, il est évident que la « blogosphère » (2) présente une variété de blogs assez extraordinaire. Nous n’en citerons que quelques catégories :

 

- Blogs politiques : chacun y va de ses arguments pour démolir le camp adverse et chanter ses propres louanges. On peut y trouver des renseignements intéressants sur le délire des terriens.

 

- Blogs personnels à visée familiale : pour les inconditionnels de la vie privée d’autrui. Voyeurisme et exhibitionnisme garantis, pipi-caca-bobo du dernier et j’en passe. En tant que Sirien, j’ai appris de fort nombreuses choses sur l’espèce humaine.

 

- Blogs personnels à visée intellectuelle : très nombreux, très sérieux, très ennuyeux (parfois). Où l’on comprend en lisant la prose de ces malheureux que, finalement, être un terrien humain n’est pas rose tous les jours.

 

- Blogs personnels à visée humoristique et satirique : les pires parce que certains trouvent encore le moyen de parler d’eux-mêmes en travestissant leur égocentrisme sous des formes d’humour plus ou moins réussies : par exemple, un blogger faisant un article sur les manies des bloggers dissimule le plaisir qu’il prend à « s’exprimer » derrière une façade très critique : on n’est pas plus faux cul.

 

« Mais où est l’intérêt, me direz-vous, de donner son opinion sur tout et sur rien quand personne ne peut vous répondre ou vous complimenter sur la sagacité de vos réflexions ? C’est pour cela que le « blog » comprend une catégorie nommée « commentaires » : ainsi, le lecteur peut-il « exprimer » son sentiment sur l’article que vous venez d’écrire. On voit tout de suite l’intérêt de la chose : se met en place un « réseau » de bloggers qui échangent leur point de vue alors qu’ils ne se connaissent pas, ne savent pas qui ils sont, ne se sont jamais vus. Les terriens s’extasient sur cette merveilleuse façon de « communiquer » avec son prochain (ou son lointain, quand les correspondants habitent à trois cents kilomètres l’un de l’autre.) Détail amusant : la plupart n’adressent jamais la parole à leur voisin de palier et ignorent même leur nom.

 

« En fait, le blogger est, au fond, une victime de sa société et même de sa nature : il vit sans cesse dans la peur, celle de ne pas exister. Ces quelques lignes écrites parfois à la hâte, entre deux travaux domestiques ou autres, sont une façon pour lui d’être sûr que les autres, même peu nombreux, le verront et l’entendront. Le blogger résume à lui seul la tragédie de l’espèce humaine : la lutte incessante contre la solitude, la vraie, celle qu’il veut oublier, ou plutôt conjurer, en tapant quelques phrases sur son « clavier ». La preuve : avec quelle avidité se jette-t-il chaque jour sur les fameuses « statistiques » prouvant que sa voix a été entendue, ne serait-ce que par un seul de ses congénères…

 

« Mais, chers lecteurs, je dois vous faire une confidence, pour achever cet article sur une note moins sombre : pendant mon séjour chez ces étranges bipèdes, je me suis amusé à « tenir un blog ». Eh bien j’ai adoré. C’est vrai. C’est si bon de pouvoir « s’exprimer »…

 

Parlez-moi d’moi, y a que ça qui m’intéresse… » (3)

 

 

(1) Surfer : sauter de blog en blog. Exercice physique pénible (il faut appuyer sur la touche de la « souris » avec un doigt) qui trouve son origine dans un autre sport qui, lui, consiste à rester debout sur une planche à laver en haut d’une vague, puis de passer sur une autre vague, etc. Génial, tout simplement.

(2) Nom donné à l’ensemble des blogs. Ce nom sous-entend la notion de monde. Les bloggers feraient donc partie d’un monde dans leur monde au milieu du monde. On prend mal à la tête.

(3) Très jolie chanson chantée par une ex très jolie terrienne, devenue absolument atroce.

3

Publié dans Textes, Nouvelle

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Thierry-Marie Delaunois nous propose la suite et fin de sa nouvelle "Etrange"

Publié le par christine brunet /aloys

 

-         Mon Arthur ? s’inquiète-t-elle tout à coup.

-         Qu’y a-t-il ? Tu as changé d’avis ? Nous retournons auprès de Gino ?

-         Non, non… Ma compagnie ne te dérange pas, j’espère ? D’accord pour un petit tête-à-tête récréatif ?

-         Je veux bien !

-         Je sens en toi le parfait interlocuteur, l’homme idéal sur ce point ; à toi on peut se confier, j’en suis certaine. Tu es un authentique, une personne intègre, sincère mais tu sembles vouloir le cacher. Pourquoi ? Je ne sais pas mais loin de moi l’idée de t’interroger ! Arthur, tu…

 

Soudain elle s’interrompt alors que nous sortons du supermarché. Un silence un peu plus inquiétant cette fois. Aurait-elle bu, la douce Maria ? Non, je l’aurais remarqué à son haleine, à ses yeux, au teint de ses joues. Quelle splendeur, je devrais être flatté et quelle étrange femme !

 

-         Oui, Maria ? Quelque chose te… chiffonne ?

-         Non, non, aucunement ! J’allais dire que tu dissimules en toi… Comment dire ? Un trésor !

-         Pardon ? Moi ?

 

Je n’étais décidément pas au bout de mes surprises. Maria semblait digne de son cousin, c’était une intuitive mais un esprit… mercenaire ! C’était le bon mot. Oui, une bien étrange femme !

 

-         Excuse-moi d’être aussi franche avec toi ! Je ne te connais pas mais je suis certaine de ne pas me tromper : il y a quelque chose de délicieux en toi, de jouissif pour quiconque te côtoie. Ta compagne a énormément de chance, elle…

-         Je suis seul dans la vie, Maria !

 

Voilà ! C’est lâché ! L’une de ces choses qu’on ne déclare pas facilement par pudeur ou peur d’être jugé et catalogué de marginal ou d’asocial. Qu’est-ce qui m’a pris ? Mais elle a pris l’initiative, je ne passerai donc point pour un dragueur !

 

-         Tu es seul ? Moi de même ! Bienvenue au club ! Voilà ! Nous y sommes. Allons-nous placer dans la file !

 

Et la suite se déroule dans le silence le plus absolu jusqu’à ce que nous nous installions face à face dans un coin mais :

 

-         Viens t’asseoir près de moi, Arthur ! Tu veux bien ?

 

Son regard azur me quémande, presque une supplique ; je ne peux résister mais prends mon temps pour exaucer son vœu. Pieux ? Songeant à la Belle et le Clochard de Disney, j’ébauche un sourire. Depuis que je suis arrivé au supermarché une demi-heure plus tôt, quelque chose a changé. Comme si une fuite s’était produite en moi, me rendant plus léger, plus serein. Etrange changement !

 

-         Pourquoi souris-tu ainsi, Arthur ? Ah oui ! C’est probablement inattendu pour toi mais sache que ce l’est également pour moi. As-tu lu le livre de Gino ? Des forces invisibles nous guident, nous traquent, je crois en celles-ci !

 

Difficile de me concentrer à présent ! Me tenir aussi près d’une si belle femme relève en principe du tour de force en ce qui me concerne. Pourtant je ne rêve pas et quel maintien ! Est-ce que je touche là le ciel ? Au divin ? Maria a un corps sculpté dans le plus beau des moules, ce qui m’émoustille quelque peu. A quoi dois-je m’attendre ? Non, tout de même pas… Brusquement j’enchaîne :

 

-         Des forces invisibles de quel type ?

-         C’est très mystérieux, Arthur, je ne peux t’en apprendre davantage. C’est de l’ordre de… l’indicible !

-         Oui et vu qu’elles sont invisibles, c’est tout vu !

 

Son rire est frais, perlé ; d’un geste gracieux elle porte alors sa tasse aux lèvres, hume, goûte ; je l’imite puis nous reposons nos tasses de concert, ivresse de l’instant, à l’unisson ; soudain ses yeux plongent dans les miens, lumineux, limpides. Une mer aux eaux tranquilles mais, au-delà de l’horizon, comme une menace ou ne serait-ce pas plutôt son moi profond qui apparaît là teinté d’un léger vague à l’âme ? Etrange, ce contraste ! Insolite.

 

-         Merci, Arthur, pour ce moment ! C’est… magique !

-         Je ne suis pas Merlin mais Arthur, sais-tu ?

-         Oh ! Bien tourné ! s’exclame-t-elle, ravie.

 

Une vague de chaleur déferle en moi, accompagnée d’un léger tremblement. Que m’arrive-t-il ? Les forces invisibles seraient-elles à l’œuvre ? A n’en pas douter puisque le courant passe, un courant de sentiments partagés, je le sens. Quels types de sentiments ? De la sympathie, c’est sûr, une franche sympathie mêlée d’une reconnaissance mutuelle. Comme un écho. Cette journée sortait réellement de l’ordinaire ; nous formions là un bien curieux tableau tous les deux. Image d’Epinal ? Pour cela nous devrions refléter le parfait bonheur d’être deux mais ce n’était point le cas. Tout à coup Maria pousse un profond soupir :

 

-         Dis-moi, Arthur…

-         Quoi donc ?

-         J’ai une question un peu particulière à te poser. Je peux ?

 

Est-ce que je l’intimide, moi, le pauvre Arthur, le misérable Arthur, une coquille vide bien qu’elle semble avoir trouvé en moi un trésor ? Etrange, une fois de plus…

 

-         Bien sûr ! Je t’écoute, Maria !

-         Penses-tu que ce que tu vois et perçois de moi corresponde à la réalité, c’est-à-dire à mon vécu personnel et à mes pensées du moment ? Mon paraître est-il l’exact reflet de mon être intérieur ?

 

Stupéfaction, mais j’essaie de ne pas le laisser transparaître justement ! Quelle question ! Serais-je tombé sur une penseuse, une philosophe ? Maria bat alors des cils avant d’incliner la tête vers moi, ses cheveux dissimulant ses traits, me cachant ses yeux azur qui, je le devine, se sont embués. Elle a perdu de sa superbe. Que répondre ? Subitement je comprends la raison de cette question qui n’aurait pas de raison d’être si tout allait à merveille pour la belle ; je lui déclare ensuite, inspiré :

 

-         Je t’admire, Maria, tu es une femme de qualité courageuse, battante ! Tu montres une image très positive de toi. Bravo car moi je n’y parviens pas ! Oui, tu as face à toi un homme à la dérive, qui n’a plus aucun espoir ni goût à rien, un homme à bout, sur sa fin. Pardon de t’avoir trompée, je…

-         Mais tu ne m’as point trompée, Arthur, puisque je l’ai deviné. Compris. Et tu ne nies rien ! Tu es quelqu’un de droit, d’intègre et mieux vaut toujours un sacré silence qu’un gros mensonge ! Donc tu sais que je… je…

 

Contre toute attente, éclatant en sanglots, Maria vient brusquement de se recroqueviller sur elle-même, plaçant une nouvelle fois ses mains devant son visage. Ainsi donc la belle connaît aussi la désillusion, le désespoir, la détresse. Touché, même bouleversé, je pose délicatement une main sur son épaule, sans mot dire et de manière à lui faire sentir qu’elle n’est pas seule au monde, qu’un homme se tient auprès d’elle prêt à l’écouter, à compatir, à la réconforter si nécessaire. Nous nous connaissons à peine, si peu ; pourtant, là, nous ne faisions qu’un. Une communion des âmes. Nous nous étions découverts semblables dans nos parcours respectifs. Soudain, elle m’attrape les mains, hoquetante :

 

-         Je suis désolée mais je ne pouvais plus me contenir. Tout contenir. J’ai ma dose, Arthur, tu peux le savoir. Une overdose même, tu peux me croire…

 

Et c’est elle qui me prend énergiquement dans ses bras alors que ce devrait être en toute logique l’inverse :

 

-         Pour mon plus grand malheur j’aime les femmes et il m’est difficile de le dissimuler. Il paraît que cela se sent. Il n’y a donc pas de perspective qu’il y ait entre nous un jour ne fût-ce que l’espoir d’une…

-         Allons, allons, Maria, s’il te plaît, ne t’inquiète pas !

-         Je t’en prie, ne me laisse pas…

-         Tomber ? Sûrement pas ! J’aimerais pouvoir t’aider !

-         Mais tu le fais déjà si bien ! Merci, Arthur ! Cadeau ! lance-t-elle tout à coup, avant de m’embrasser furtivement sur les lèvres. Comme si j’étais pour elle un ange.

 

Surpris, je ne réponds pas à son baiser mais ne me retire pas non plus. On est donc deux à pédaler dans la choucroute ? Clairement ! Que faire ? Mon esprit fonctionne à la vitesse de la lumière, cherchant une solution, la solution, non une parade ou une échappatoire, mais c’est mon cœur qui se jette soudain à l’eau :

 

-         Maria ?

-         Oui ?

-         On peut tenter d’affronter ensemble les problèmes si l’idée te plaît, la première étape serait d’apprendre à mieux nous connaître. Nous nous soutiendrions mutuellement. On peut conclure une sorte de pacte.

 

Puis tombe le silence ; j’en profite alors pour la prendre dans mes bras à mon tour, la berçant contre moi, nos cheveux mêlés, tous les deux ivres de chaleur humaine, de tendresse.

 

Bientôt je la sens revenir, retrouver son assurance et quand nous nous détachons, nous ne pouvons que nous contempler, les yeux dans les yeux ; dans cet échange une promesse, vraie, inaltérable car je me sens prêt à relever ce défi : la rendre plus heureuse. Une énergie nouvelle a envahi mon être, tout mon être, telle une renaissance, elle le sent, je le sais, sourit, elle aussi prête à s’ouvrir, cœur, âme et esprit. Je me sens ragaillardi, motivé et quoi qu’il faille accomplir, je…

 

-         Arthur, je ne t’ai pas encore révélé le pire. Cela ne se voit pas en ce moment, cela ne saurait tarder mais… j’ai une tumeur à vaincre au plus vite.

 

Pourquoi ne suis-je pas surpris, même sous le choc ? Bizarre ! Une vive émotion devrait m’envahir, me paralyser mais… rien comme si je savais déjà qu’un mal la rongeait.

 

-         Tu ne dis rien ? Etrange que tu restes aussi calme ! Aussi stoïque !

-         C’est parce que je suis ici, auprès de toi, autant pour le meilleur que pour le pire. Dès maintenant, ta tumeur te paraîtra plus légère : je la partage avec toi !

 

Qu’ajouter ? Une ivresse vient de céder le pas à une autre, nous le savions tous les deux, celle de pouvoir lutter côte à côte. Même si cela ne résout rien à brève échéance, le soutien et le réconfort seraient désormais nos armes à toute heure du jour comme de la nuit, nos pensées partagées, accrochés l’un à l’autre. Nos rires vaincraient nos larmes ; le partage, nos solitudes ; la clarté, nos ténèbres ; le positif, le négatif. Et si Maria ne devait pas s’en tirer ? Elle m’aurait malgré tout à ses côtés jusqu’au bout du chemin, le message, passé, était on ne peut plus clair. Ferme. Personne ne se mettrait en travers de notre ivresse. Etrange ? Nous seuls, Maria et moi-même, détenions les cartes. La réponse. La vie à tout prix ? Coûte que coûte et nous avions déjà pris la route !

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"Un compte de fée" signé Jean DESTREE

Publié le par christine brunet /aloys

"Un compte de fée" signé Jean DESTREE

Un compte de fées

Ah oui! Il était une fois. Pas deux fois, pas trois fois, pas beaucoup de fois, non, seulement une fois. Donc il était une fois. Qui? Quoi? Comment? Pourquoi? Il était une fois. Un prince. Charmant? Bancal? Borgne? Manchot? Cul de jatte? Pied bot? Oh! Comme vous y allez. Vous imaginez un prince charmant à la fois bancal, manchot, borgne et cul de jatte. Non mais, vous vous moquez du monde et surtout des enfants. Au diable ce modèle de prince charmant tout ça à la fois. Ça, c'est une pièce unique pour le musée des horreurs. Notons au passage qu'il est sans doute difficile d'être à la fois pied bot et cul de jatte. Mais on ne sait jamais. Tout arrive.

Donc il était une fois un prince charmant. Ça existe. Mais oui, très charmant. Des cheveux blonds, des yeux bleus, des joues roses, un corps svelte comme celui d'une hémione ou d'un chevreuil. Bref un prince vraiment charmant. Et, pour ne pas faillir à la légende, non seulement beau mais bon comme un pain frais qui sort du four à bois du vieux boulanger du coin. Et comme tous les princes charmants des contes de fée, ce beau et bon prince s'ennuyait. Seulement? Non il s'emmerdait vraiment. Comme son majordome, son groom, sa femme de chambre, son cuisinier, sa nourrice, son lad, son palefrenier. Tous s'emmerdaient comme des rats morts. Tiens! Parce que les rats morts s'emmerdent? Bien sûr, comme des princes charmants.

Et voilà ce joli prince disons très ennuyé pour rester poli et correct. Ne demandez pas pourquoi, vous le savez bien. Il est tout seul dans son grand château et on s'ennuie ferme quand on est tout seul dans un grand château, sans savoir que faire d'autre que de s'ennuyer dans un grand château. Un grand château plein de chambres joliment décorées et meublées de lits à baldaquin, de couloirs sans fin qui ne mènent nulle part d'autre que dans des chambres ou des salons. Un grand château plein de salons aux meubles dorés, de cuisines avec les cuisinières qui mitonnent amoureusement sur des cuisinières, au bois, celles-là, de bons petits plats qui deviennent fades avec le temps, des caves avec des vins venus des quatre coins du monde et qu'on ne goûtera jamais et surtout des souterrains aux plafonds bas couverts de toiles d'araignée. Sans oublier les fantômes qui hululent les nuits sans lune et s'amusent à faire peur aux enfants.

Donc ce gentil prince s'emmerdait ferme dans son grand château perdu au milieu d'un grand parc plein d'arbres, comme tous les parcs qui entourent les grands châteaux. Il fallait bien qu'il trouve de quoi passer agréablement son temps. Mais il avait beau se tourner les méninges dans tous les sens, il ne trouvait pas de solution aussi intéressante qu'intelligente. Notre gentil prince finit par se demander s'il arriverait un jour à ne plus s'emmerder. Se creuser la cervelle, se triturer les neurones à longueur de journées n'était pas une solution qui puisse le consoler de sa solitude. Il finit par perdre patience et appela vertement son majordome.

  • Hestor !

Ben oui, le majordome s'appelle Hestor. C'est drôle, une espèce de contraction de Nestor, celui du Capitaine Haddock et de Hector, celui du héros de l'Iliade de l'aède Homère, vous savez bien cette aventure guerrière entre les Grecs de Ménélas et les Troyens de Pâris, celui qui avait fait cocu le précédent en couchant avec la belle Hélène, celle d'Offenbach.

- Hestor ! Viiite ! Cria le gentil prince en tirant sur le long cordon de la sonnette qui reliait sa chambre au bureau de son directeur du cabinet.

Clopinant en s'appuyant sur sa grande canne de bambou cambodgien, Hestor apparut dans l'encadrement de la grande porte de la grande chambre avec le grand lit à baldaquin du gentil prince qui, pour une fois, avait pris son air pincé. Un gentil prince bien élevé ne pince pas son air, ce n'est pas poli. Pas plus que cracher par terre.

  • Mon altesse, que puis-je pour votre service ?

  • Hestor, je m'emmerde.

  • Quoi ?

  • Oui, Hestor, je m'emmerde fort. Et à cent piastres l'heure. Cela t'étonne.

  • Un peu, mon Altesse. Vous avez l'air si joyeux qu'on a envie de chanter une chanson à boire.

  • Oui, Hestor, je m'emmerde. Appelle tous mes gens. Je veux savoir si tous s'emmerdent comme moi dans ce grand château plein de chambres, de couloirs, de fantômes, de spectres en tout genre.

  • Je les réunis où?

  • Dans la salle d'armes.

Mais elle est pleine de caisses de jouets, de vieilles hardes, de vieux tapis mités, ceux que vous avez fait dépendre parce que vous ne vouliez plus voir toutes ces dames qui avaient perdu leurs atours pour plonger dans les baignoires vides.

  • Ha !

  • Oui, mon Altesse. Même que vous avez fait mander un roulier pour évacuer tout ce fourbi.

  • Convoque-les quand même. Dans la salle d'armes. On les assoira sur les caisses et les tapis.

  • Pleins de poussières ? Ils saliront leur culotte.

  • Ils n'auront qu'à la retirer.

  • Mais, mon Altesse...

  • Quoi, mais?

  • Rien. Je pensais que par ce temps, ils pourraient avoir froid aux fesses. Il n'y a plus de chauffage.

  • Eh bien, ils saliront leur culotte et ils secoueront la poussière après.

Tout le personnel, étonné, se retrouva dans la salle et attendit patiemment que le joli prince daignât se faire voir de tous.

Jean Destree

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