Un crime, une nouvelle de Micheline Boland
Le but du jeu était de choisir une photo de bandits australiens
et d'écrire un texte à propos de cette photo.
UN CRIME
En moi, Élise Rolfell, il n'y a que la honte : la honte de ma jalousie dévoilée, la honte de n'avoir pas été préférée à une femme si ordinaire, la honte d'être rongée par la haine. Je garde les yeux fixés sur mes mains comme je le faisais lorsque ma mère me grondait.
Je suis seule comme le chien égaré et l'arbre malingre dans la forêt. Seule et coupable puisque j'ai tué Nelly au premier étage du Grand Hôtel de Vittel où nous séjournions. Hier matin, je l'ai attendue. Quand elle est sortie de sa chambre, je l'ai saluée, je l'ai suivie dans le couloir. Elle est passée dans le petit salon. J'ai saisi la statuette en bronze sur le guéridon et de toutes mes forces, j'ai frappé. Le premier coup m'a libérée. J'ai frappé encore et encore… Toute la nuit, j'avais rêvé de ce moment. À présent, les scènes de mon théâtre intérieur et la réalité se ressemblent étrangement.
Paul, mon mari, avait rencontré Nelly au Pavillon de la Grande Source. J'avais été le témoin des premiers mots échangés. Tandis qu'elle buvait à petites gorgées, Nelly avait lancé à la cantonade : "Je n'y crois plus. Cette eau n'a aucun effet sur moi." C'était d'un vulgaire de s'adresser ainsi à des inconnus ! Paul avait réagi : "Continuez la cure. Au petit déjeuner, on m'a parlé de gens débarrassés de leurs maux en quelques jours." Elle avait minaudé : "Merci Monsieur".
Depuis lors, nous la croisions partout : à l'hôtel, dans le parc, dans la galerie thermale, en ville ! Chaque sourire et chaque parole que Paul lui adressait, chaque baisemain m'étaient un crève-coeur. Je sentais que Paul commençait à m'échapper ! Et puis, un matin, je les ai surpris qui s'embrassaient dans la roseraie. C'en était trop.
Je n'éprouve aucun remords, j'ai seulement honte.
Micheline Boland
micheline-ecrit.blogspot.com