Est-ce que ce monde est sérieux ? de Philippe Leclercq... un extrait...

Publié le par christine brunet /aloys

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Extrait du livre

 

C’est la même nuit, ailleurs.

Un autre lieu, la même vie.

Une nuit de plus dans sa vie.

Elle porte une jupe rouge, un top trop court dévoilant son ventre bronzé et les deux obus lui servant d’appât. Une paire de bottes blanches et un maquillage prononcé lui donnent un air de mante religieuse à la recherche d’un coït fatal.

Il fait presque sombre.

Elle se nourrit du regard des hommes.

Elle pourrait fermer les paupières qu’elle les sentirait quand même, ces yeux avides et humides, comme des giclées de sperme inondant son corps. Et chacune d’entre elles agit comme une huile sensuelle accentuant encore le chaloupé de sa démarche.

En attraper un, au hasard, lui obturer la bouche de sa langue, lui fouiller la culotte d’une main fébrile.

Le désir lui brûle les reins.

Elle avance sur le trottoir, sans but précis. Rien que ce besoin charnel de rencontre.

Que font-ils là, ces mâles désœuvrés, errant à contresens, comme des pêcheurs sans filets ? Ils sont là pour elle, bien sûr. Mais c’est elle qui chasse. Eux ne sont que des sucreries sur l’étal du confiseur.

Bientôt, elle fera son choix.

Au diable les paroles, les civilités de circonstance. Pourquoi parler quand le langage est primal ?

Elle en a déjà gobé, des hommes ! Sans un mot, de force, par surprise.

Quel pouvoir !

C’est la vengeance des laissés-pour-compte. Quand tout fout le camp, il reste ce pouvoir.

« C’est à ta pine que je parle, obéis-moi sans mot dire ! »

Des centaines de couillons, toutes conditions confondues, au garde-à-vous, prêts à obéir à la moindre injonction.

Quelle jouissance que de sentir l’impuissance masculine à résister !

S’approcher, plonger les mains dans les instincts. Poigner vigoureusement dans la bestialité. Voir, au fond des yeux, le désarroi de la volonté paralysée. Tout le corps dit « oui » tandis que le regard dit « non ».

« Non, mais continue… »

Quelle revanche sur le destin !

Ministres, médecins, informaticiens, penseurs, philosophes, entrepreneurs… Tous esclaves de la Mante Religieuse.

Tous, surpris dans leur conscience moderne par ce réveil irrépressible d’un appétit du fond des âges.

Elle adore ça.

La houle qui la fait tanguer sur les trottoirs, éclabousse à chaque pas son entrecuisse ruisselant.

Mmmmm…

Rien ne peut égaler ce plaisir. Aucun mot ne peut le qualifier.

Il faut maintenant que vienne l’apothéose. Le bouquet final.

Elle regarde autour d’elle, l’œil avide, la faim au ventre.

Qui sera sa victime ? Cette nuit ne ressemblera à aucune autre. Cette nuit sera expiatoire. Il ne s’agit pas de pomper la semence humiliée d’un mâle désarmé. Il lui faut plus.

Désormais, elle est prête.

Prête pour le sacrifice.

 

*

 

Lui, il ne veut pas grand-chose. Juste se vider d’une journée de labeur passée à traquer le petit voleur au détour d’un rayon de supermarché. Il rôde dans la nuit naissante, sans but, sans intentions. Se purifier, ne penser à rien, humer l’air tiède de la ville qui se purge peu à peu de sa journée. Moins de voitures, moins de passants, moins de bruit.

Il aime ça.

Le jour est prévisible, la nuit maraude.

La ville ressemble à sa vie. Le jour, elle est occupée.  Elle est traversée et bruyante. La nuit, elle se remet de sa journée. Elle se redécouvre. Elle poétise, flirte avec le vent ou les étoiles.

Une autre dimension.

La nuit, tout est possible. L’homme y devient ce que la cité fait de lui. Au gré des rencontres, suivant le hasard… Il part ange et peut finir démon.

Il a quitté son domicile il y a deux heures, direction la nuit. Ça lui arrive de temps en temps. Toujours en semaine. Le week-end, la nuit ressemble trop au jour : elle est stressée.

Là, il vient de croiser une vraie bombe. Une de ces filles dont on se demande si elles marchent sur des braises ou si elles ont un problème aux lombaires.

Il est certain qu’elle lui a emboîté le pas.

Il en jurerait.

Elle l’a suivi tout un temps, il en est sûr.

Bref, pour l’instant, elle semble avoir renoncé.

Evaporée, la belle vaporeuse.

 

C’est con, quand même, à quoi ça tient.

On peut mourir d’avoir avalé de travers. On peut se crasher dans un camion pour être parti dix secondes trop tôt…

Ainsi va la vie.

 

Il ressent une envie de pisser.

Il s’éloigne de l’artère principale, prend une rue secondaire et désertique. Il voit un terrain vague envahi par la végétation et les pelleteuses. Un futur chantier, visiblement. Il s’y dirige, la main déjà à la braguette.

La zèzette dans le feuillage, le nez en l’air, il se soulage en comptant les étoiles.

Cette sensation d’irriguer la terre, de la fertiliser presque…

Illusion masculine.

 

D’un coup, elle le happe par la chemise, à travers le feuillage. Elle le colle dos au sol. D’une main, elle lui écrase la bouche, d’un bras elle lui bloque les jambes. A peine a-t-il le temps de comprendre ce qui lui arrive, qu’elle s’enfouit la tête entre ses jambes.

S’il avait, un instant, songé à se débattre, il abandonne définitivement l’idée.

Elle lui aspire le membre savamment, langoureusement, jusqu’à ce qu’il gonfle fièrement. Elle ne l’entrave plus. Désormais, il n’a plus aucune raison de se défendre.

Un instant, elle se redresse sur les genoux, remonte sa jupe, enlève son top.

Ses seins sont formidables, dressés dans la nuit comme des pyramides dans le désert. Elle les caresse, tout en enjambant son partenaire improvisé.

Lui, pétrifié, ne bouge pas. Le souffle court, les idées embrumées, il consent.

Ainsi va la vie.

Lentement, elle descend ses fesses vers le sabre tendu qu’elle tient fermement dressé. Son regard traverse l’obscurité pour plonger dans les yeux de sa victime.

Il ne peut le soutenir longtemps. Il se couvre la figure de son bras au moment où le gland entre en contact avec son intimité trempée.

Il se cabre quand, d’un coup sec, elle s’assied complètement sur lui, l’accueillant entièrement en elle.

Doucement, les hanches entament leur lancinant mouvement. L’organe masculin apparaît et disparaît avec une précision de métronome dans le corps de l’inconnue.

Lui se laisse aller, ne pense pas. Il déguste l’instant présent, dédié à l’orgueil, à la satisfaction de son ego. Il est tout dans sa queue, dans sa fierté de mâle. Le cerveau est aux abonnés absents. Son centre névralgique est situé sous la ceinture. Les quelques sept ou huit litres de sang, nécessaires à la vie, y sont concentrés entièrement.

Ça lui fait un braquemart gros comme un mât d’artimon.

Elle continue sa danse, accrochée aux yeux de l’autre.

Son souffle s’accélère. Elle sait ce qu’elle fait là et cette seule évocation lui gonfle le ventre d’un plaisir prêt à exploser dans sa gorge, comme un ballon qui éclate.

La terre lui écorche les genoux, la nuit l’enroule de son voile d’impunité. Le vent, comme une caresse, lui excite les seins.

Il est temps de se libérer enfin.

 

Que toutes les brimades, que toutes les blessures, tous les coups du sort, toutes les déchirures, soient ainsi réparés !

 

C’est l’heure du sacrifice.

Elle met la main à sa ceinture, en sort un petit objet métallique qu’elle lève bien haut, au-dessus de sa tête. La lune se reflète dans la lame…

Elle sait qu’elle va jouir pour la première fois. Un flot de cyprine coule le long de ses cuisses, dans le sol.

Elle se penche sur sa bouche, l’envahit de sa langue.

Sa main s’insinue entre leurs deux cous, se plante dans le sien et glisse, comme on glisse la carte de crédit, transversalement, dans le lecteur.

C’est l’heure de payer.

La lame de rasoir fait un mince trait rouge de part et d’autre de la gorge de l’homme. Il émet un son, comme une toux, puis le sang sort en bouillons.

Alors qu’il se débat, que ses bras font de grands moulinets en l’air, que sa vie lui échappe par la gorge, elle lâche une longue plainte et s’abîme dans un premier et magnifique orgasme.

Les deux corps sont agités de soubresauts frénétiques pendant de longues secondes, puis se calment peu à peu.

 

Un des deux, seulement, continue à vivre.

 

Elle considère l’homme qu’elle vient de tuer.

Il a les yeux ouverts. Il semble regarder derrière lui. Son cou est béant, noyé de sang.

Elle se lève, libérant le lien qui les unissait. Il retombe, encore tendu. Elle se réajuste…

L’expiation a eu lieu.

Elle exprime tout le mépris qu’elle a pour les hommes dans un crachat triomphant, tourne les talons et disparaît dans la nuit complice.

 

 

Philippe leclercq

Photo couverture leclerc

 

Publié dans Textes

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L
<br /> COOL, TORDUE MAIS COOL.................<br />
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C
<br /> My God, mante religieuse, oui mais quelles machinations derrière tout ça! <br />
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C
<br /> Eh bien ! Dire que je suis à court de mots... Un sacré extrait !!!!<br />
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E
<br /> Ciel! Et c'est moi qui dois commencer la série des commentaires! J'avoue que j'ai aimé le texte, il s'y trouve plus<br /> que ce qu'on lit, il y a aussi cette rage et besoin de vengeance. J'ai aussi pensé à une nouvelle de Jean Ray où une prostituée se transformait en grosse mygale et tuait ses clients dans le<br /> secret des chambres.<br /> <br /> <br /> Voici donc une Barbie furieuse... qui sait si elle sera jamais apaisée?<br />
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