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La décision, une nouvelle de Carine-Laure Desguin

Publié le par christine brunet /aloys

                                 

 

desguin

 

 

  La décision.                                                                

 

 

                                   

Les yeux rougis, des sanglots dans la voix, une dame d’une soixantaine d’années est assise sur le bord de la chaise métallique. Elle hoquette tellement qu’on ne perçoit pas la fin de ses phrases. Elle lâche deux mots, renifle, recommence l’exercice et puis  plonge son visage bouffi entre ses mains. Elle pivote la tête de gauche à droite et renifle de plus belle. De la poche de son tablier bleu, elle sort un paquet de mouchoirs en papier. Toute tremblotante, elle en extirpe un. Parfois, ses cris stridents font sursauter le canari, un petit oiseau tout déplumé…

- Allons, allons, reprenez-vous…Je comprends votre chagrin…depuis si longtemps que vous travaillez au service de madame Denonceau…Dix ans m’avez-vous dit ? demande le  jeune inspecteur de police, assis juste devant la malheureuse.

- Oui, c’est bien ça, plus ou moins dix ans, confirme la dame, en s’essuyant les yeux à chaque mot qu’elle lance…

- Vous n’aviez jamais rien remarqué d’anormal dans le comportement d’Alexis Denonceau ? demande l’inspecteur Gérald Douillet, avec de la compassion dans la voix…


La dame se reprend,  relève la tête et s’assied plus fermement sur la chaise. Elle cherche ses mots, donne l’impression de vouloir cracher une vérité mais réfléchit, afin de bien peser ce qu’elle veut spécifier…

- Parlez, je vous en prie, vous ne risquez rien et surtout, vous devez nous dire tout ce que vous savez ...Depuis le début …

Gérald Douillet se lève et, avec des traits de compassion sur le visage, il sert une tasse de café sucré au témoin principal… 

La dame tournicote sa cuillère dans la tasse, ses pensées sont lointaines.


Et puis, elle se décide à parler, comme dans une longue expiration de soulagement :

─ Monsieur Alexis, c’est un homme gentil…dit-elle, en se raclant la gorge…Jamais, je n’aurais imaginé…

─ Il avait des amis, des amies qui venaient lui rendre visite ? interroge l’inspecteur, tout en griffonnant sur son bloc-notes à chaque fois que la pauvre dame s’exprime. Essayez de vous souvenir, cela pourrait aider …vous savez…les fameuses circonstances atténuantes !

─ Vous savez, poursuit la dévouée tout en sanglotant encore un peu, je viens chaque jour de 8 heures jusque 13 heures…Monsieur Alexis, c’est un homme ordonné, un professeur voyez-vous, c’est souvent comme ça …

─ Tiens, c’est bizarre, vous m’avez dit tout à l’heure qu’il ne travaillait plus …à 52 ans, c’est un peu jeune…Il restait donc ici, tous les jours …entre ces murs, et face à la mer ? demande l’inspecteur de la voix douce de celui qui est plongé dans une de ses toutes premières enquêtes.

─ Cela fera un an, au carnaval de Dunkerque, que monsieur ne travaille plus. Madame sa mère était très heureuse que son fils reste à la maison !


Il pourra s’occuper de moi toute la journée et je ne serai plus jamais seule, m’avait-elle confié. Je me souviens très bien de la mine réjouie de madame Denonceau ! Quand j’y pense docteur, heu, inspecteur, 

- ça me fait mal ! Je ne comprends pas ! s’esclaffe-t-elle, en laissant couler chaudes larmes…

─ Alexis Denonceau ne sortait donc jamais d’ici ? A part ses promenades matinales sur la plage ? demande l’inspecteur, tout éberlué de constater le dévouement sans faille du fils pour sa mère…

─ Sortir ? Oh non ! Madame sa mère n’aurait pas apprécié ! Déjà quand monsieur Alexis allait au lycée, pour donner cours, et bien, madame Denonceau, elle téléphonait au directeur pour être certaine que son fils ne lui cachait rien, au sujet de ses heures de travail, vous comprenez docteur, heu….excusez-moi, inspecteur, continue la dame, plus loquace à présent, toute ragaillardie en sirotant sa tasse de café par petite gorgées.

─ Oh, je comprends, siffle l’inspecteur, en fronçant les sourcils et en  tortillant son stylo entre ses lèvres…Et, dites-moi, interroge-t-il tout en focalisant ses questions vers une direction bien précise,  il s’occupait beaucoup de sa maman ? Madame Denonceau était handicapée….


Sans aucune hésitation, la femme d’ouvrage étale tout ce qu’elle sait...

─ Mais monsieur Alexis, c’est lui et lui seul qui soignait madame sa mère ! C’est qu’elle ne voulait pas qu’une infirmière vienne se tortiller sous le regard de son fils ! Paix à son âme, intime-t-elle, tout en se signant. Monsieur Alexis, c’était lui qui soignait sa maman et …

─ Vous pourriez me préciser …vous dites bien soigner sa maman…A quels soins pensez-vous ?

─ Le matin, monsieur Alexis soignait madame sa mère…c’est-à-dire qu’il se rendait dans sa chambre, il déposait madame sur sa chaise roulante, il l’emmenait aux toilettes et là, il la laissait seule ...

Quelques minutes plus tard, madame Denonceau agitait sa clochette. Monsieur Alexis accourait, il transportait sa maman des toilettes jusque dans la salle de bains et là, il lavait sa maman…Oh oui, j’oubliais ! Quatre fois par jour, monsieur piquait le doigt de madame, pour le sucre dans le sang, vous comprenez, madame était diabétique…poursuit-elle en se remémorant tous les gestes de son patron. Et puis, il piquait, pour l’insuline …Plusieurs fois par jour, madame agitait sa clochette pour l’une ou l’autre chose : la conduire aux toilettes, lui donner un verre d’eau….Jamais je n’ai entendu monsieur Alexis soupirer quand madame sa mère lui demandait un petit service …


Le jeune inspecteur écoute, note, réfléchit. Il a de grands yeux étonnés…

─ Alors ce matin, quand je suis arrivée et que monsieur Alexis m’a dit : « Bonjour Marianne, madame ma mère est dans son lit, elle ne se lèvera pas aujourd’hui, ni les autres jours d’ailleurs », j’ai demandé si je devais appeler le médecin…Et, avec son calme habituel, tout en ajustant sa perruque, de longs cheveux noirs, il a continué : « Hier soir, j’ai tué ma mère, une surdose d’insuline…appelez les flics, dites-leur… Je suis sur la plage, je prends le chien, mon filet de pêche, mes vêtements de femme. Je veux respirer. Et  être moi-même. Enfin ».

 

Carine-Laure Desguin

http://carinelauredesguin.over-blog.com/

 

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Publié dans Nouvelle

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L'amour, un poème de Micheline Boland

Publié le par christine brunet /aloys

 

boland photo

 

 

L'AMOUR…

 

 

L'amour dilue les peurs

Et l'ennui et les doutes

Et les différences.

Dans le jardin des passions,

Les mots sont des baisers

Qui guérissent du temps qui passe.

 

Les lèvres des amoureux sont douces

Comme des berceuses,

Leurs mains sont chaudes

Comme des rires,

Leurs regards sont moelleux

Comme des nuages.

 

Toutes les paroles

Que nous croyions avoir usées

Renaissent dans un sourire.

Le vent est si fort,

Le soleil si brûlant,

L'amour si puissant.

 

 

Micheline Boland

Son site : http://homeusers.brutele.be/bolandecrits/
Son blog : http://micheline-ecrit.blogspot.com/

 

http://www.bandbsa.be/contes2/humeursgrisesrecto.jpg


Publié dans Poésie

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Mais qui est l'auteur de cette nouvelle ?

Publié le par christine brunet /aloys

L'acte de Natacha.

 

   Le ciel s'obscurcit, l'orage menace, mais bizarrement Natacha est sereine. Appliquée, le sourire aux lèvres, elle frotte avec un torchon de cuisine rose la lame tranchante d'une feuille de boucher.

 

   Ça fait bien déjà une heure et demie que le vent s'est levé, chassant pour partie la chaleur accablante et immobile, insupportable, qui l'avait précédé. Là, c'est sûr, ça va tomber, mais quand ? Ça n'a pas l'air de se décider. L'attente devient insoutenable. Au fil des minutes elle grignote l'équanimité précaire à laquelle Natacha s'était forcée. Maintenant elle sent la sueur qui lui descend lentement dans le creux du dos. Une impression désagréable de froid malgré la touffeur ambiante.

Plus que vingt minutes environ avant le retour de son frère ! Il faut qu'elle fasse très vite à présent. Que tout soit remis en place, sinon...

Certes elle a seulement fait ce qu'elle avait à faire ; de ce côté-là c'est comme si tout était enfin en ordre, elle a la conscience tranquille, mais on ne sait jamais, son frère est tellement imprévisible. Trop prévisible, en fait.

 

   Il ne faudrait pas qu'elle soit obligée d'agir radicalement, une fois de plus. En aurait-elle la force ? Elle en doute et préfère ne pas s'attarder à cette pensée. Du reste elle a mieux à faire.

C'est comme un sentiment du devoir accompli, mais malgré cela elle tremble. Voilà le mal-être qui   à nouveau s'amplifie. Vite elle referme les caisses, les traîne à grand-peine jusqu'à l'appentis et les remet sous la vielle bâche, à leur place de toujours.

Peut-être qu'il ne pensera pas à la questionner tout de suite. Il y a même de fortes chances qu'il ait autre chose en tête  ; avec ses habitudes, c'est tout à fait probable. Ça lui laissera un peu plus de temps, à Natacha. Elle pourra aviser.

 

   Le matin encore, elle ne croyait pas qu'elle en serait capable. Et puis tout s'est enchaîné ; elle en est venue à bout; même que, finalement, ça a été plus facile qu'elle le pensait. Elle n'a pas réfléchi à ce qu'elle faisait, s'est juste contentée d'agir mécaniquement, méthodiquement, selon le vague schéma qu'elle s'était donné pour y parvenir. Maintenant, ça y est, c'ést terminé et elle n'a rien à se reprocher. Il ne sert plus à rien d'y repenser, mais c'est plus fort qu'elle.

Elle se fait violence et prend une bonne résolution : elle va se tourner vers l'avenir, il sera déjà assez compliqué à gérer. À chaque instant suffit sa peine, comme on dit, et là, ce qui s'annonçe n'est pas bien beau.

"Mais je réfléchis, je réfléchis, je perds du temps !" se dit Natacha. "Allez, secoue-toi , il faut en finir".

   Elle regarde derrière elle et constate que tout est normal. L'appentis est bien comme d'habitude. S'il y vient, ils ne verra rien qui lui donne l'occasion de s'en prendre à elle, du moins tout de suite. Il faut gagnet du temps, c'est vital. L'apparence du lieu la rassure un peu.

Alors qu'elle s'apprête à ressortir du réduit, un éclair puissant zèbre la noirceur du ciel ; aussitôt le tonnerre éclate et roule dans la vallée, là-bas vers Maupas sur le Drac. Natacha a fait un bond. Les dernières heures furent difficiles. Elle est au bord de l'épuisement et un rien la déstabilise. Elle pourrait fondre en larmes. Il faut dire qu'elle a  quelques raisons...

Vivement, elle consulte sa montre. Cette fois, c'est l'inquiétude. Dans dix-douze minutes il sera là. Il n'a pas beaucoup de qualités, mais en général il est ponctuel. S'il est en rogne, comme d'habitude, il ne l'écoutera même pas. Aucune explication ne pourra l'apaiser ; elle  sait. C'est toujours comme ça.

Les cris, les gifles, elle ne peut plus les supporter. Que va-t-elle faire ce coup-ci ? Ses pensées sont confuses, elle n'entrevoit aucune solution. Son coeur accélère dans sa poitrine. Elle étouffe.

 

   L'été dernier déjà elle a fugué, mais, avec le père, ils l'avaient vite retrouvée et alors ce fut le calvaire, indescriptible, et personne pour la secourir car leur maison, leur cahute plutôt, est complètement isolée dans la montagne. Tous les deux, ils l'avaient même enfermée pendant trois jours, avec quelques bouteilles d'eau du robinet pour toute nourriture. Et encore, vu son aspect, il est même plus que probale qu'ils l'avaient récupérée dans la gamelle de Dax, leur berger allemand.

Lui aussi, efflanqué, tâche de supporter son existence dans ce milieu hostile, affamé le plus souvent, les flancs labourés de coups de bâton, une sorte de canne de jonc qu'ils gardent près de la porte, à cet effet.Ils rigolent beaucoup quand ça les prend, sourds aux jappements terrorisés de Dax. Mais avec l'obstinée fidélité des bêtes il voue néanmoins une adoration sans bornes à ces maîtres qui  le torturent tout leur saoul.

Ce jour-là, Natacha s'en était même voulu d'avoir diminué la maigre ration de l'animal. Heureusement il peut parfois s'échapper jusqu'au torrent, au prix d'une belle râclée à son retour. La plupart du temps il est à la chaîne, confiné au rôle de veilleur; parfois ils le libèrent pour mieux le maltraiter.

Oui, le traitement infligé au chien n'a rien à envier à celui qu'elle subit.Et puis, la privation de nourriture et tous ces sévices-là ne sont pas les pires, il y a aussi,  régulièrement, ces gestes... leurs grognements, leurs rires qu'elle voudrait tellement oublier. En vain.

   Une fois dehors, elle frissonne. Une famille de brutes, sans éducation, la mère morte de cirrhose l'année précédente alors qu'elle avait tout juste quarante-trois ans, elle aussi ravalée à l'état de déchet humain ; la misère au quotidien ! En repensant à tout cela, le regard de Natacha se voile, elle se fige. Mais bien vite sa conscience, toujours aux aguets, la prévient : tu n'as plus que quelques minutes pour effacer toute trace ; tout doit être rangé. Elle n'a pas fini de nettoyer. Le sol, ça, c'est fait, nickel,on ne voit plus rien, mais l'outil, la feuille de boucher, vite elle doit la rapporter dans l'atelier. Ne rien laisser traîner.

   À la hâte, elle balance le torchon souillé dans un seau d'eau froide, la feuille avec, car elle réalise qu'elle n'a plus le temps de retourner à l'appentis. D'un bon coup de pied elle pousse le récipient sous le pseudo plan de travail, fait de planches grossières posées à même des parpaings. Il atterrit au milieu des épeluchures qui ont débordé de la poubelle, de la poussière et des toiles d'araignées. Là ils ne surveillent pas son travail, il faudrait qu'ils se baissent ! De toute façon, avec ses mains usées à trimer, elle ne peut pas tout faire dans le taudis, mais parfois elle le paye cher. Elle a poussé le seau bien loin, tout au fond. Heureusement il ne s'est pas renversé. Surtout ne pas attirer leur attention.

La pluie crève soudaint le ciel et s'abat à grosses gouttes qui crépitent sur le toit de tôles rouillées. L'air sent l'ozone ; Natacha fonce fermer la fenêtre. L'autre odeur, un peu fade, n'est plus qu'à peine perceptible dans la maison.

Au loin on entend les rugissements saccadés du quatre-quatre qui, laborieusement, gravit le sentier, tressautant sur les pierre menaçant de l'immobiliser dans la pente, juste au moment un brusque et trop fort coup d'accélérateur le relance.

   L'angoisse saisit Natacha. Elle sait que cette conduite nerveuse s'explique par la rage de son frère. Il a encore dû se saouler en ville. Elle l'imagine proférer juron sur juron, impatient d'atteindre la maison pour décharger sur elle toute son agressivité, comme toujours dans ces cas-là. C'est le lot quotidien. Aujourd'hui il n'aura pas besoin de prétexte. De toute façon, ça tombe toujours sur elle; pour un mot qui déplaît ou pour un silence, pour n'importe quoi, à vrai dire.

Ce qu'elle a fait aujourd'hui sera une trop bonne occasion. Elle en est sûre, elle va encore prendre une fichue dérouillée. Elle ne sait même pas si elle en sortira vivante.

La peur monte en elle. Que faire ? Où fuir ? C'est trop tard, de toute manière.

 

   Résignée, elle entend le véhicule s'arrêter près de la masure. Puis plus rien. Le silence est seulement déchiré par le tambourinement violent et incessant des rafales d'eau poussées par les bourrasques. Coeur battant, elle prête l'oreille. Rien d'autre ne se laise percevoir lors des brèves accalmies. Dix minutes s'écoulent ainsi. Enfin, et presque avec soulagement, elle discerne le chuintement semi-continu de bottes qui se rapprochent, allant s'amplifiant. Il arrive. L'ivrogne s'était – c'est quasi certain - endormi brièvement, incapable de descendre du véhicule. Ce n'est plus qu'une question de secondes.

Instinctivement, Natacha tend la main vers le manche du couperet parisien, c'est ainsi que l'appelait sa mère, originaire de la petite couronne. Trop loin. Elle fait un effort, ahane, rien à faire. Elle doit se baisser davantage pour  l'atteindre, mais elle n'en a plus le temps.Elle recule d'un mouvement brusque car, titubant, Fédéric fait déjà irruption dans la pièce en beuglant :

 

¬ Où qu'il est l'père , nom de Dieu, hein ? Qu'est-ce qui fout encore c'tabruti d'enfoiré ? Tu réponds, saleté ! Ou bien, faut-y que j'taide, tu vas voir, j'arrive !

 

Un long silence fait suite à ces imprécations.

 

¬ Il... il...

 

Natacha tente de répondre. Elle sait pourtant qu'elle a intérêt à faire diversion, et très vite. Cependant, paralysée de terreur, elle n'y parvient pas; les yeux écarquillés, elle fixe son frère, la bouche ouverte, n'émettant aucun son. Elle recule, perd l'équilibre, s'appuie d'une main contre le mur. Elle est coincée

 

Alors, de la chambre à coucher mitoyenne monte un grognement pâteux et le cliquetis de bouteilles vides qui se renversent, comme des quilles. Dix secondes après,  paraissant une éternité, la porte claque contre le mur et, à demi accroché à elle, apparaît Pierrick, la petite soixantaine, hirsute, les jambes mal assurées.

 

¬ On peut pus pioncer tranquill' ici, bordel ! Qu'esse tu veux core, fils d'andouille ? Et pis elle, qu'esse qu'elle a à nous regarder comme ça ; j'sais pas c'qui m'retient d'lui en coller une !

 

Le rire gras du fils lui répond, comme il s'avance, le poing levé.

Natacha se recroqueville dans son coin, les yeux encore agrandis par l'effroi ; elle n'ose plus espérer. Horrifiée, elle peut à peine respirer.

 

 

Natacha a neuf ans. On lui a ordonné le matin d'écraser – et proprement, vingt diu, avé l'plat d'l'outil, crénom, faut tout t'dire, spesse d'garce – soixante-dix kilos de noix pour que le fils puisse aller le lendemain matin  vendre les cerneaux sur le marché de Grenoble. Faut bien payer les litres de rouge et le gas-oil du tout-terrain.

 

   Le frère approche aussi,rotant, l'oeil mauvais. La joie maligne le porte. C'est l'heure ! Ça va être sa fête !

 

Brusquement Natacha s'enfuit et sort en courant. Esquivant les deux épaves, elle bouscule le père au passage.

Arrivée au bord de la falaise, elle ne s'arrêtera pas. Son cri se mêlera aux derniers grondements de l'orage.

 

 

Publié dans auteur mystère

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Ecrire sur les étoiles, un poème de Carl du Toit alias Karl Chaboum

Publié le par christine brunet /aloys

É

 

crire sur les étoiles®

 

http://www.chersonesos.org/images/donjon.jpgLe forçat força

Mais n’y parvint pas                      

Sa vie durant il prôna la liberté

Et le voici encagé dans un donjon

Le Bel et le Bête

Dégriffé

Naguère empli d’espoir

Maintenant au cœur ballot

Ballottant dans le  néant

Voulant passer sa vie à écrire

Il ne fit qu’en scribe scribouiller des factures

Et piocher, esclavimum

De son donjon il crie et prie

Supplie d’au moins comprendre

La brume brumentielle de son cerveau

 

Don Juon                                                           

http://fc07.deviantart.net/fs27/i/2009/248/3/2/Don_Juan_de_Marco_by_vampirekingdom.jpgTu devrais savourer la solitude à ton âge

Oublie donc tes fresques et friques du passé

Vois le présent le futur oublie-le vite

Pourquoi deux quidames à ton contour

C’est qu’a trouvé deux scintillantes perles

Qui se sont enfuies dans sa coquille

 

Dans le noir je les vois perles comme des étoiles

On ne scie pas une étoile en deux

C’est moi qui suis cassé par elles

À me faire fondre au fond de la mer

À tenter de faire fondre cette chaude glace

Obnubilé que je suis par ce firmament joyau

Je languis au fond des eaux

Je prends le temps de leur écrire mon épitaphe…

À ces bijoux que ne porterai jamais à mon cou.   

 

Carl du Toit

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Publié dans Poésie

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Adrien Roisin se présente

Publié le par christine brunet /aloys

 

AdrienRoisin.jpg

 

 

Adrien Roisin

 

Licencié et agrégé en philosophie, il est également titulaire d’un  diplôme d’études complémentaires en théologie chrétienne. Passionnée par l’histoire des sciences et l’anthropologie religieuse, il entame une série de cours sur l’Islam à la grande mosquée de Bruxelles en 2011, pour compléter son cursus.

Adrien Roisin est né en 1972 et vit en Belgique. Il est papa de deux enfants en bas-âge et travaille à la réinsertion professionnelle de femmes, via les TIC (Technologies de l’Information et de la Communication). En particulier, il enseigne comment se créer des opportunités personnelles ou professionnelles via les réseaux sociaux.

 


Médiums

Enquête dans l’univers des phénomènes paranormaux

 

Marseille, des femmes sont retrouvées mortes. L’enquête piétine …

Olivier, jeune homme sans histoire, possède un pouvoir dont il ignore encore l’importance et qui va le propulser au cœur d’une enquête haletante où les mystères ne sont pas toujours ceux que l’on croit …

Il va partir à la recherche d’un tueur qui semble déjà le connaître et l’entrainer dans un duel où il découvrira la maîtrise de ses capacités.

Policiers immergés dans un milieu qu’ils connaissent mal : la voyance, scientifiques qui accréditent des thèses qui semblent fantaisistes et jeunes gens doués de capacités stupéfiantes, tel est le décor de cette enquête policière méthodique et pleine de rebondissements …

Publié dans présentations

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Alain Magerotte a lu "Le magasin de conte" de Micheline Boland

Publié le par christine brunet /aloys

 

Alain

 

 

LE MAGASIN DE CONTES

Par Micheline Boland

 

 

Une réflexion qui m’a toujours irrité de la part des critiques : «Dugenou a sorti un nouveau livre ou un nouvel album, c’est du Dugenou…» Que veulent-ils que ce soit ? Du Trucmuche ? Du Machinchouette ?... Un artiste a un style qui lui est propre. Il peaufine, améliore, va de l’avant, mais il a une «patte» reconnaissable entre toutes et c’est ce qui le caractérise et fait son succès. Quand je me prépare à lire du Micheline Boland, je m’attends à lire du Micheline Boland et pas du Bob Boutique, du Laurent Dumortier ou du Raymonde Malengreau, qui, eux aussi, ont leur style propre.

Bref, «Le magasin de contes», c’est du Micheline Boland pur jus et comme j’avais envie de lire du Micheline Boland, ça tombait plutôt bien.

Bon, allons-y, parce qu’il y a 37 contes qui nous attendent… excusez du pneu comme dirait Alexandre, mon garagiste (Bof !... Ou plutôt Pfffff !... J’aime le son du pneu qui se dégonfle le soir au fond d’un garage…)     

 

DES RUMEURS ? : Gilles apprend ses origines par la voix d’un tilleul… «Tilleul, mon beau tilleul...»… ce n’est pas ça du tout…  

LE BÛCHERON : Après la poule aux œufs d’or, voici le marronnier aux pièces d’or…

LE PREMIER CASSE-VITESSE : Princesse, Gédéon et Reinette, poules et canard, sont victimes de chauffards, une solution est trouvée…

LA COUTURIÈRE : Et tipe et tape fait la couturière, ployant sous les pièces d’or...

LE SECRET DE L’ÉCUREUIL : Et Tic et Tac fait l’écureuil, ployant sous les innombrables provisions. Une façon d’engranger qui intrigue d’autres occupants de la forêt…

AMOUR ET CARNAVAL : Certains seraient-ils obligés de se déguiser pour plaire ?

BONNE RENTRÉE, VICTOR : T’aurais dû apporter des bonbons, Victor, parce que les fleurs, c’est périssable. Et ce chien, Milou… ne crains-tu pas Micheline d’avoir des problèmes de droits d’auteur avec Nick Rodwell de la Fondation Hergé ?

S’Y METTRE COMME LES AUTRES : Un petit rappel en matière d’écologie ne fait pas de mal.

UNE MUSIQUE DE FLÛTE : Le Président a une nouvelle passion ! Branle-bas de combat dans les médias et la population. Les supputations vont bon train…

LES CHAUVES-SOURIS : Sympathique petit animal diabolisé par un moins sympathique gros animal, l’homme…

UNE CLOCHETTE POUR POUSSY : Poussy, adorable petit chat qui commence à prendre de mauvaises habitudes. Sa maîtresse y remédie en l’affublant d’une clochette…

RUMEURS : La Marie est une fille sociable, toujours prête à aider, à donner… une «bonté» qui finit par jeter la suspicion…

SPÉCULOOS : Thierry et Patrick sont deux frères. IlsM Boland Le magasin de contes n’arrêtent pas de se chamailler… jusqu’au jour où Saint-Nicolas leur offre un énorme spéculoos…

JOUR GRAS POUR NOÉMIE : Noémie rêve de participer au carnaval. Sa maman ne veut pas. Un jour, la petite fille reçoit un masque…

L’eau est à l’honneur pour les trois contes qui suivent : HISTOIRE D’EAU, HISTOIRE D’OR, L’OR DE LA FONTAINE et LA PERSEVERANCE DEJEANNETTE. A chaque fois, l’eau est pourvoyeuse d’or et permet à des personnages d’améliorer leurs conditions de vie. Que ce soit l’ami Pierrot (pas celui d’ «Au clair de la lune»), l’ami Jeannot (lui, par contre il la voit, la lune… dans l’eau de la fontaine) ou l’amie Jeannette (et pas Cahuète), un rien distraite…

UN NOËL D’ENFANT : Les parents de Martin se sont quittés… mais se retrouvent à Noël. Un conte vibrant d’émotion.

TEMPS PERDU : Comme Marcel Proust, le Roi est à la recherche du temps perdu… et une bonne rançon pour celui qui le retrouvera… pas Proust, mais le temps perdu !

SOURIS INTERDITES : Des souris capables de comprendre un panneau d’interdiction. Etonnant… vous avez dit étonnant ?...

DU NEUF POUR HALLOWEEN : Papy Oscar  a une bonne idée pour renouveler le masque de la fête d’Halloween. Cela lui permettra même de revoir une ancienne amie…

PREMIER RÉVEILLON : Une entorse permet à une jeune infirmière, super active, de goûter aux joies simples des préparatifs d’un réveillon…

LE SOLEIL DANS LA MANCHE : Un jeune africain subjugue son auditoire, un vieux et une famille de touristes, en sortant des rayons de soleil de sa manche…

HISTOIRE DE BANC : Le vent règle un «problème» de banc, un ancien en bois vermoulu et deux nouveaux en tek, alors que les hommes s’étaient quelque peu emmêlés les pinceaux en les «plaçant» n’importe où, n’importe comment…

LA MITRE DESAINT-NICOLAS : C’est au tour de Saint-Nicolas de recevoir un cadeau. La petite Alizée s’en charge sans que le grand Saint ait vent de l’affaire…

UNE GALETTE DE ROI : Le petit Jules se découvre un talent de chanteur en obtenant la fève cachée dans la galette des rois. Et il chante : «Fève Jacques, fève Jacques, dormez-vous ?...»

LA CLOCHE GOURMANDE : Les cloches de Pâques sont chargées de chocolat qu’elles doivent larguer dans les jardins. L’une d’elle, Bernadette (elle est très chouette), enivrée par l’odeur du chocolat, ne se résout pas à accomplir sa tâche…   

LE CERISIER ET LA VÉRANDA : Malgré l’attrait qu’elle éprouve pour le cerisier du jardin, Vinciane, trop timorée, n’interviendra pas quand ses parents décideront de l’abattre (l’arbre, pas Vinciane) pour construire une véranda…

GRANDIR : Julien dit «Juju» ou «le petit Juju» a trouvé le truc pour grandir : faire de plus longues nuits. A méditer et surtout à faire lire aux enfants qui n’aiment pas se coucher tôt…

AMÉLIE ET HALLOWEEN : Une gigantesque toile d’araignée avec la bêbête au milieu, voilà ce que «propose» Amélie, bien malgré elle, à celles et ceux qui refusent de donner des friandises le soir d’Halloween…

UN CHIEN POUR NOËL : Le soir de Noël, un couple découvre un chiot sur le pas de la porte. Ce couple, qui ne veut pas d’animaux, va-t-il l’adopter ?... C’est ce que vous saurez en lisant le livre…

L’ÂNE DE SAINT-NICOLAS : Fils d’une riche femme d’affaires, un jeune garçon sympathise avec l’âne du grand Saint…

DEUX HORLOGES : Pas évident de remettre les pendules à l’heure dans un «vieux couple» et dans le village où ils habitent…

LE PETIT ŒUF OUBLIÉ : Dans ce conte-ci, il semblerait que ce soit bien l’œuf qui vienne avant la poule (éternelle question…)

UN NOËL DE CHAT : Le chat Nelson est un coquin qui ramène des décorations de Noël au grand dam de sa maîtresse…      

UNE VIE : Que l’on soit jeune ou plus âgé, le temps passé dans un coin n’est pas le même…

LE HENNIN : Une princesse est amoureuse d’un troubadour. Signe convenu entre eux pour marquer l’amour (réciproque) qu’elle lui porte, la belle se coiffe d’un hennin…

 

Oufti (comme on ne dit pas à Bruxelles), quelle imagination ! Impressionnant ! Bravo Micheline. A ce régime-là, tu pourras ouvrir d’autres magasins… Filigranes n’a qu’à bien se tenir… et pourquoi pas un Supermarché ?... Là, c’est Carrefour qui devra s’accrocher…

 

Alain Magerotte         

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Carine-Laure Desguin : un peu plus loin dans la lumière...

Publié le par christine brunet /aloys

 

La médiathèque Saint-Exupéry ( à Voisins –le-Bretonneux, Yvelines) lançait le mois dernier un appel à textes.

Le photographe Daniel Hess exposait et il s’agissait de choisir une œuvre et d’écrire un texte…

Et je suis très heureuse de vous annoncer que mon texte « un peu plus loin dans la lumière » accompagnera la photo numéro six et ce durant toute la durée de l’exposition !

Samedi 10 mars, avec les autres lauréats, j’étais invitée au vernissage, en présence du photographe et du comédien Benoît Lepecq qui a lu les textes retenus.

Merci à monsieur Jacques Fournier, directeur de la Maison de la Poésie de Saint-Quentin-en-Yvelines qui permet aux créateurs de s’exprimer…

Plus de détails ? www.mediatheques.agglo-sqy.fr

http://carinelauredesguin.over-blog.com/article-57-un-peu-plus-loin-dans-la-lumiere-texte-d-apres-photo-de-daniel-hess-101432794.html

 

 

 

 

 

carine

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Premier amour, un poème de Micheline Boland

Publié le par christine brunet /aloys

 

boland photo

 

 

PREMIER AMOUR

 

 

Loin était mon esprit,

Proche était la paix

Lorsque l'ami me prit

La main, ce soir de mai...

 

Loin étaient les larmes

Dans nos cœurs embrasés

Par une même flamme

Et, sans cesse, poussés

 

Par l'éveil de l'amour,

Les serments éternels,

Adorables atours

Des baisers fraternels.

 

Très proches sont les pleurs,

Les fructueux reflux

Des regrets, des douleurs

...Car mon amour n'est plus.

 

 

Micheline Boland

Son site : http://homeusers.brutele.be/bolandecrits/
Son blog : http://micheline-ecrit.blogspot.com/

 

http://www.bandbsa.be/contes2/contesmagasinrecto.jpg


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"L'enveloppe bleue", une nouvelle d'Alain Magerotte

Publié le par christine brunet /aloys

L’ENVELOPPE  BLEUE

 

Il a plu à seaux toute la nuit. Ce déluge n’est cependant pas la cause de son insomnie : l’homme, patron d’un abattoir spécialisé dans la volaille, n’a pas trouvé le sommeil parce que l’épuisante journée qui l’attend, en cette avant-veille de fête de fin d’année, le perturbe.

«Ils se sont tous donné le mot pour attendre le dernier moment», ronchonne-t-il.

Après être passées entre ses mains, des dizaines de dindes et de poulets vont se transformer en mets plus sophistiqués les uns que les autres pour satisfaire de gourmands appétits.

Finissant de nouer le cordon de son tablier blanc, il appelle, irrité :

« Jacques ! Jacques, où es-tu ? Dépêche-toi, il y a beaucoup de travail aujourd’hui, je n’ai pas de temps à perdre. Je vais partir… »

La femme tempère l’impatience de son compagnon.

« Il ne va plus tarder, il m’a promis de ne pas traîner en allant chercher le pain. Attends-le, sinon il risque de piquer une colère, tu le connais… et puis, penses-tu que ce soit un spectacle pour un enfant ?

- J’estime agir pour son bien en l’emmenant chaque fois avec moi, son caractère s’aguerrit, il s’endurcit. D’autre part, il doit libérer la violence qui est en lui et il en a, crois-moi… on peut déjà être certain que, plus tard, Jacques ne sera pas une mauviette… »

Elle l’interroge du regard, pas vraiment convaincue mais n’insiste pas, s’inquiétant en silence pour son fils, si différent des gamins de son âge. Plutôt que de rechercher la compagnie des autres gosses, Jacques préfère passer d’interminables heures dans l’ambiance morbide de l’abattoir en prenant un plaisir malsain à la vue des exécutions perpétrées, à une cadence infernale, par son géniteur. Un géniteur qui exerce sur lui, une mainmise sans partage.

Dès son retour, Jacques enfile ses grandes bottes en caoutchouc. Le chemin est embourbé. Au dehors, père et fils s’empliront les poumons de cette odeur de terre mouillée qui répand un parfum revigorant qu’ils aspireront sans modération pour mieux supporter les exhalaisons respirées jusqu’à l’écoeurement tout au long d’une harassante journée de labeur… prouvant que les affaires, quant à elles, marchent plutôt bien. A un point tel que l’homme a l’intention d’engager deux nouveaux ouvriers au printemps prochain.

 

Trente ans ont passé.

Petit et ventru, Jacques Cordère aimerait tordre le cou à sa solitude. La perspective de l’avoir à ses côtés jusqu’à son dernier souffle pèse si fort, que ses larges épaules s’affaissent chaque jour un peu plus, lui conférant une silhouette voûtée, semblable à celle d’un vieillard.

Or, Jacques n’a pas encore atteint quarante ans. Un âge où, il l’a lu dans une revue spécialisée, l’homme atteint sa plénitude physique et mentale. Aussi, a-t-il décidé de mettre les bouchées doubles pour mettre un terme à sa vie de solitaire.

Ce soir, Jacques a rendez-vous. Il arpente, de long en large, le trottoir au pied d’un immeuble où se trouve le siège d’une compagnie d’assurances. Notre homme lutte contre une nervosité qu’accentuerait l’immobilisme.

Impatient mais surtout inquiet, il guette l’arrivée de cette femme contactée par l’intermédiaire d’une petite annonce trouvée dans le journal qu’il tient plié sous le bras :

Irma, 35 ans, veuve aisée, cherche homme seul entre 30 et 40 ans pour relations sérieuses. Situation stable, sympa, aimant les petits restaurants et la campagne.

Curieusement, aucun détail physique n’apparaît dans ces lignes.

«Bah ! Au diable le flacon, pourvu qu’on ait l’ivresse» se dit Jacques, conscient tout de même de ne pas se trouver dans les conditions pour faire le difficile.

La mention «aisée» ne le laisse, évidemment, pas indifférent. Parce que, tant qu’à faire, il préfère savourer un Pommerol au coin de l’âtre qu’un Château La Pompe auprès d’un vieux convecteur au gaz. Pour l’amour, on verra plus tard… avec le temps… 

Une chose l’embarrasse : le goût prononcé de la dame pour la campagne. Quelle horreur ! Avec son cortège de moustiques et de bestioles plus répugnantes les unes que les autres. Sans compter l’insupportable odeur de purin. Non, très peu pour lui. Quel plaisir peut-elle éprouver à la vue de prairies interminables remplies de vaches, de moutons et de cochons ?

«Quoiqu’en ce qui concerne ces derniers...» songe-t-il en rougissant à cette pensée osée.

Jacques trouve le temps de plus en plus long et de plus en plus froid. Il décide alors de jeter un coup d’œil sur le journal dont la première page est consacrée au tueur de flics qui terrorise la ville; celui qui tue les «poulets» en leur tordant le cou… mais, voici qu’elle apparaît, soudain, dans toute sa grâce.

Une silhouette fine et élégante, mise en valeur par la lumière blafarde que diffusent les lampadaires alignés sur le trottoir.

«Putain le flacon, du first class» se pâme Jacques.

L’inconnue traverse la chaussée et se dirige d’une démarche souple vers lui. Il se recroqueville. Relevant le col de son imper, notre amoureux transi enfouirait volontiers toute sa tête s’il le pouvait. Le rouge lui monte aux joues. Il voudrait fuir cet endroit. De plus, donner rendez-vous devant une compagnie d’assurances quand on en manque à ce point-là. Ah, comme il les envie, ces héros de cinéma, sûrs d’eux, parce qu’ils n’ont pas… le physique ingrat de Jacques Cordère, voilà tout.

« Monsieur Cordère ? Jacques Cordère ? » questionne l’arrivante en le dévisageant de ses grands yeux verts.

« Euh... oui... madame... »

Cette réponse de petit garçon «pris en défaut» agace notre homme qui, impressionné, juge déjà cette jolie veuve trop bien pour lui.

«Une fois pour toutes, Jacques, arrête de te ravaler ainsi ! Accroche-toi, vieux et dis-toi surtout, même s’ils ne sont pas apparents, que cette charmante créature a aussi ses imperfections, ses craintes, ses doutes…»  

« Avez-vous un endroit de prédilection où l’on pourrait dîner et faire plus ample connaissance ? questionne-t-elle, en le tirant de ses réflexions.

- Euh… oui… »

Ce rendez-vous capital a obsédé Jacques dès l’aube. L’estomac noué, notre homme n’a rien mangé de la journée. Il est, ce soir, aussi affamé qu’un top model se préparant à un défilé relevant de la plus haute importance pour la suite de sa carrière.

« Vous êtes garé loin d’ici ?

-… En fait, oui… euh, je veux dire non… ma voiture est à l’entretien… nous allons prendre un taxi, à mes frais, bien entendu… »

Jacques Cordère ment, il n’a pas de voiture. Il le dira plus tard ou plutôt, non, il doit le dire maintenant pour ne pas entamer leur relation sur un mensonge. Il se ravise donc :

« En vérité, je n’ai pas de voiture, je…

- Il n’y a aucune honte à cela. Vous pensiez que j’étais une femme qui jugeait sur les apparences ? C’est vraiment cette impression que je donne ?

- Je… je n’en sais rien… je… je ne sais déjà pas parfois qui je suis…

- Intéressant ce que vous me dites.

- Ah oui ? Je… je vais héler un taxi, le premier qui passe… évidemment, suis-je bête… tiens, en voilà justement un qui arrive… »

En montant dans le véhicule, Cordère jette l’adresse d’un restaurant italien situé non loin de son lieu de travail.

Cet avantage psychologique du terrain connu apporte quelque assurance à notre homme. Une assurance renforcée par le «Bongiorno signor Jacques» de Santo, le garçon, lorsqu’ils pénètrent dans l’établissement. Si bien que, profitant de l’état de grâce du moment, Cordère choisit, sans hésitation, une table dans le fond, pour deux personnes, flanquée d’un gigantesque aquarium dans lequel dansent, en une sarabande harmonieuse, une vingtaine de poissons multicolores.

Mais, à peine installé face à Irma, voilà que le manque d’assurance rapplique au grand galop. Aussi, Jacques prie la jolie veuve de l’excuser un instant et s’engouffre dans les toilettes pour retarder un tête-à-tête qui le paralyse de peur. Dans ces conditions, comment établir un plan de séduction ? Déjà que l’imagination coince quand elle est intensément sollicitée dans un laps de temps trop court.

«Papa, je t’en supplie, aide-moi, que dois-je faire ?» 

Jacques Cordère redevient subitement ce petit garçon tremblant devant un paternel dominateur qui n’imaginait pas le voir un jour devenir adulte et qui, dès lors, n’éprouva pas le besoin de l’entretenir des choses de la vie. Jacques n’a réussi à se soustraire de ce lourd héritage qu’à doses homéopathiques. Il est d’ailleurs toujours en traitement. Mais, ça va mieux, beaucoup mieux, hier encore, il n’aurait jamais osé répondre à une annonce…

Jacques se passe de l’eau sur le visage, réajuste sa cravate, remet de l’ordre dans sa chevelure clairsemée, cachée d’ordinaire sous une casquette à carreaux, et retourne prendre sa place en face d’Irma.

« Vous semblez connaître la maison, que me conseillez-vous ? interroge-t-elle.

- Des… ravioli à l’italienne, répond-t-il spontanément, ils sont succulents. Je peux vous donner la composition de la farce : 600 grammes de poulet cuit et désossé, 100 grammes de mortadelle, 100 grammes de jambon de Parme, 2 œufs, 1 oignon, 1 gousse d’ail…

-… Parfait, vous m’avez convaincue, sourit-elle, puis, elle ajoute d’un air ingénu : 600 grammes de poulet… vous aimez le poulet ?

- Oh oui, je l’adore… pourquoi ?

- Pour rien, fait-elle, pour rien… »

La langue de Cordère ne se délie qu’à l’énoncé de sa recette de cuisine favorite car, pour le reste, son imagination répond aux abonnés absents. Le dîner, en effet, s’apparente à un round d’observation pour l’une, à l’incapacité d’engager la conversation sur le sujet le plus futile soit-il, pour l’autre.

Les regards se croisent; le plus souvent, ils se fuient. C’est au dessert qu’Irma rompt la glace... au moyen de la petite cuillère argentée qu’elle tient avec une élégance raffinée. Les deux boules, vanille et chocolat, arrosées de crème fraîche, servent ainsi d’amorce à un échange de propos sur lequel le plus audacieux des bookmakers n’aurait osé miser le moindre franc quelques instants plus tôt.

« Monsieur Cordère... suis-je la première femme dans votre vie ? » Elle penche la tête de côté comme pour mieux sonder son âme.

Jacques est décontenancé. Que répondre ? Tout est si compliqué... et cela depuis toujours.

Il toussote pour s’éclaircir la gorge et, d’une voix qu’il s’efforce d’affermir, il ânonne un «oui» presque inaudible, agrémenté d’un sourire de crétin.

A quoi bon révéler les rares tentatives amoureuses qui ont lamentablement échoué… à faire rire de lui ? Il n’est pas conseillé non plus d’avouer l’amour secret qu’il éprouve pour cette jolie brunette dont les passages sont guettés, le soir, avant le J.T. de 20 heures.

Se trémoussant au son d’un rythme latino-américain, la jolie brunette en question vante les mérites d’une marque réputée pour la qualité de ses pâtes. Jacques enregistre chacune de ses apparitions sur son magnétoscope pour les mettre bout à bout. Il peut ainsi voir défiler la publicité en boucle durant plusieurs minutes.

Bien qu’il fréquente les plateaux de télévision en tant que machiniste, c’est lui qui, notamment, fait clap dans les clips, Cordère n’a jamais eu le bonheur de croiser cette créature de rêve. C’est peut-être mieux ainsi... que peut-il espérer et que… dirait-il ?

Jacques se sent mal à l’aise. Il évite le regard d’Irma face auquel il se sent nu comme un nouveau-né. Une Irma qui n’arrête pas de le dévisager. Elle le domine, sans aucun doute. Que cherche-t-elle au juste ? Car à présent, voilà qu’elle demande son avis sur le tueur en série, celui qui tord le cou aux poulets. D’après un portrait dressé par les experts, il s’agirait d’un homme victime d’un père dominateur, traumatisé dès son plus jeune âge par quelque chose qui reste encore à définir.

Un père dominateur… tiens donc, ça lui rappelle quelqu’un. Et si elle pensait que c’est lui, Jacques Cordère, le tueur ? Cette réflexion produit, chez «le mal dans sa peau» qu’il est, un ascendant qui s’estompe vite pour faire place à l’indignation. Comment penser une telle chose d’un être aussi respectueux de la vie ? D’accord, ils se connaissent à peine, mais elle voit bien qu’il n’a pas la gueule de l’emploi, ça saute aux yeux, non ?

«Jacques, tu dis des bêtises, car si tous les tueurs avaient la gueule de l’emploi, le travail de la police serait grandement simplifié. La police ! Irma en fait-elle partie ?»

La sueur qui perle sur le front de Cordère le polit comme un miroir. Il a l’impression qu’au moyen de ce support, Irma prend connaissance de ses pensées… et qu’elle comprendra ainsi qu’il trouve regrettable d’aborder un thème aussi sordide dans le cadre enchanteur de leur première rencontre. Mais cela, il n’osera jamais le dire de vive voix.

Santo vole au secours de Jacques en proposant une grappa offerte par la maison. Voilà qui détend l’atmosphère. Notre homme l’avale d’un trait, en commande une seconde à laquelle il réserve un sort identique puis, une troisième.

Jacques n’a pas répondu à la question d’Irma au sujet du tueur. Par contre, les bienfaits de l’alcool commencent à agir et, comme cette femme lui plaît beaucoup, il fait preuve d’une audace dont il serait incapable dans son état normal :

« Je... je le reconnais, c’est… c’est moi l’assassin… et… et, pour mieux assouvir mes bas instincts, je… je vous propose de… de venir prendre un dernier verre... chez… chez moi… »

A son grand étonnement, Irma accepte sans sourciller.

L’homme se relâche à un point tel que, dans le taxi qui les ramène à son domicile, il prend quelques distances avec la bienséance en posant une main baladeuse sur le genou de la femme.

Prenant un faux air de reproche, celle-ci suggère à l’intrépide d’ôter sa grosse paluche de là.

Il obtempère non sans avoir mollement insisté. Mais, peu à peu, l’air frais, filtrant par la fenêtre entrouverte de la voiture, remet les idées en place et, Jacques voit sa témérité soudaine se dissiper avec les vapeurs de l’alcool.

Arrivé chez lui, il est tout à fait conscient. Conscient surtout qu’il ne peut tout de même pas boire chaque fois plus que de raison pour faire preuve d’initiative. Il doit bousculer sa nature s’il veut parvenir à ses fins. Jacques sait qu’une chance comme celle-là ne se présentera pas de sitôt. Il ne peut dès lors la gâcher.

Il prie Irma de s’asseoir dans un canapé confortable et actionne l’interrupteur d’une petite lampe posée sur un guéridon. Protégée par un abat-jour, cette récupération en provenance du décor d’un feuilleton populaire, apporte un bonus à l’ambiance. Et pour rendre celle-ci plus romantique encore, il met un CD, acheté la veille, qui diffuse les grands succès de Dean Martin.

« Madame Irma... que puis-je vous servir... vodka, porto, rhum, whisky ?...

- Je me contenterai d’une coupe de champagne...

- Ah, ça… je… manque de pot, je n’en ai pas... mais, attendez... je pense qu’il y a moyen de s’en procurer au night shop... en fait, c’est plutôt du mousseux... »

Ce contretemps le chavire, elle le rassure :

« Va pour le mousseux... je vais aller le chercher moi-même... un peu de marche après un copieux repas me fera le plus grand bien...

- Vous... vous n’avez pas peur... il fait nuit... le tueur...

-… mais non, puisqu’il est ici, en face de moi ! Et puis je ne suis pas flic, je n’ai donc rien à craindre » balance-t-elle, un brin moqueuse.

Sur ces paroles, elle plonge la main dans son sac pour en ressortir une enveloppe bleue fermée qu’elle tend à Cordère.

« Ne l’ouvrez que lorsque je serai sortie. Dites-moi, où se trouve le night shop ?

- Tout au bout de la rue, vous ne pouvez pas le manquer » bégaie l’homme, intrigué par le pli qu’il retourne sans cesse entre ses doigts nerveux. Une étrange sensation le gagne.

« N’oubliez pas… ne l’ouvrez que lorsque je serai sortie ! »

Il croit percevoir une pointe de regret dans la voix d’Irma qui pose un baiser sur sa joue.

Sitôt la jolie veuve partie, Jacques se précipite dans la cuisine et s’empare d’un couteau. Avant de décacheter l’enveloppe, il songe à la chance qui est sienne.

Dans sa quête de trouver l’âme soeur, il vient de faire mouche. Bon sang, il y a des signes révélateurs : les regards incessants décochés dans sa direction au restaurant... la main qu’on demande, sans trop de conviction, d’ôter du genou... et puis surtout... Irma a émis le désir de boire du champagne. Ce délicieux nectar n’est-il pas approprié à la célébration d’un heureux événement ?

Enivré par les émanations d’un bonheur tout neuf, l’homme éventre l’enveloppe bleue d’un coup sec et découvre un texte impersonnel dactylographié sur une feuille A4 :

Cher Monsieur,

Je vous remercie pour l’excellente soirée passée en votre compagnie. Après un examen approfondi de votre charmante personne, j’ai le regret de vous annoncer que vous ne correspondez pas aux critères recherchés.

Veuillez dès lors me chasser de vos projets.

Bien cordialement. Irma.

La sanction est impitoyable. Hébété, l’homme flotte en apesanteur dans les brumes d’une infinie désolation.

 

La police piétinait dans l’affaire du tueur de flics. Un personnel, par la force des événements, de plus en plus limité, une infrastructure insuffisante, ont alors insufflé au commissaire Albert Grosbon l’idée de lancer dans l’arène des voyantes extralucides. Ces dames joueraient le rôle de chèvres pour confondre un dangereux psychopathe qui terrorisait toute une population et, particulièrement, ceux qui étaient garants de la sécurité de celle-ci.

Madame Irma, une épée dans le domaine de la voyance, toujours munie d’une enveloppe bleue, a jugulé l’hémorragie au terme d’une dixième rencontre avec un homme seul qui, lorsqu’elle a commandé un poulet au curry, a été pris d’une colère subite, incontrôlable.

Le coupable, un dénommé Jacques Larder, était le fils du propriétaire d’un petit abattoir spécialisé dans la volaille. Dès son plus jeune âge, le jeune homme a été amené sur le terrain des exploits d’un paternel détenteur d’une autorité sans partage. Là, durant des journées entières, il voyait son géniteur tordre le cou aux poulets. Atteint d’un syndrome gallinacéen irréversible, caractérisé par une déviance lexicale étroitement liée au port de l’uniforme qui représente la discipline, donc l’autorité paternelle, il en a conçu une haine féroce, meurtrière, à l’égard de la police.

Quant à Jacques Cordère, il s’en est retourné à son amour chimérique. Il épie, chaque jour, juste avant le J.T., la jolie brunette qui vante les mérites d’une marque réputée pour la qualité de ses pâtes et compense sa solitude en se régalant de ravioli dont la dégustation l’a, un soir, sauvé de la suspicion qui planait sur sa personne.

 

 

Alain Magerotte

Nouvelle extraite de "Crimes et boniments"

A Magerotte Crimes et boniments

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S'il vous plaît, dessinez-moi un... une nouvelle de Carine-Laure Desguin

Publié le par christine brunet /aloys

 

                                        

desguin

 

 S’il vous plaît, dessinez-moi un …

 

Avec tout ce cuir noir qui lui colle à la peau, pantalon, gilet sans manche, épaisses bottes ferrées, des anneaux tout luisants suspendus à ses oreilles et des hiéroglyphes tatoués sur le dos de ses mains aux longs doigts d’accoucheur, Max, un jeune type d’une trentaine d’années, arbore plus le look d’un chanteur de heavy métal que celui d’un scientifique à l’égo surdimensionné, fut-il aussi déjanté …

Dans cette longue cave aux odeurs de soufre, de rouille et de liquides aux propriétés chimiques, Max s’agite et fait les cent pas devant les quatre cages plaquées contre le mur de la façade Nord. Ce docteur Jekill ne sait par où commencer ses observations, tellement le spectacle est grandiose. Dans ses yeux couleur piscine s’étoile le reflet du fruit de ses expériences : du très beau travail, Darwin lui-même en serait tout remué…

Sur le mur bétonné de la façade Sud, un grand tableau noir sur lequel sont notées, avec une précision chirurgicale, toutes les transformations physiques de trois créatures mutantes …. A présent, il le sait, il peut lancer son eurêka

Voici six semaines à présent que Max passe plus de temps dans cette cave qu’un étage plus haut, là où il gagne ses tunes, un rez –de- chaussée d’une maison du centre ville, transformé en commerce à la mode. Bien sûr, quand il croise dans la rue des clients qui sont passés entre ses mains, il les reconnaît : ces yeux de biche chez Sébastienne, ces oreilles de lapin chez Dimitri…Mutations génétiques dues à la pollution, ont murmuré les pontifes de la clinique universitaire…Balivernes que tout ça…

Notre scientifique ajuste des loupes, grosses comme des mastodontes, accrochées devant les trois cages et distribue des repas individuels à ses créatures. Spectacle ahurissant. Trésor vivant inestimable. Tout en se frottant les mains de satisfaction, il glisse un regard d’illuminé vers la quatrième cage, encore vide. Plus pour longtemps …Quel animal piétinera ce béton ?

Il embrasse ses hiéroglyphes, son rituel préféré, et dans une casserole en cuivre, il verse le précieux liquide mauve au pouvoir transformateur, une pure invention issue de ses recherches sur la régression de l’humain vers ses origines adamiques…Quelques gouttes de ce colorant, pour le prochain…

Ensuite, Max balance sa tête entre le tableau noir et les incroyables mouvements des créatures qui de jour en jour, mutent de façon exponentielle.

Cage numéro 1, Daniel D.: entre ses serres puissantes et acérées, il agrippe la chair du chien crevé. Les cheveux et les yeux de Daniel sont encore humains mais sur le bec crochu apparaissent des mandibules. Des plumes noires recouvrent les oreilles …

Dans son regard se lit une peur atroce. Les grands yeux bruns de Daniel scrutent ses pattes qui se terminent par des serres, et les boyaux de la charogne qui s’éclatent sur le béton.

                                                 

Son cerveau est encore celui de Daniel D., 34 ans, mécanicien, disparu le premier août, alors qu’il se baladait à Maubeuge et qu’il rentra dans une petite boutique.

Cage numéro 2, Anne-Sophie M.: une robe tachée de noir dans un corps gras et épais, quatre courtes pattes avec du vernis rouge foncé encore visible sur les ongles…Des cris stridents entre deux grognements…

D’un geste vif d’homme subtil et pressé de constater les choses, Max repousse la grosse loupe ; un bras mécanique déplace un scanner juste devant la truie en mutation. Les clichés montrent la thyroïde, la crosse de l’aorte, les ovaires….Au-dessus du museau tout humide, les yeux aux longs cils couverts de mascara ont résisté à la force de transformation du liquide mauve colorant…

Derrière les barreaux de la cage, Anne-Sophie M., une esthéticienne de 21 ans, digère du seigle et e l’orge, entre deux grognements…

Cage numéro 3, Ferdinand V.: dans un aquarium rempli de planctons et de tortues, tout le long de deux profondes mâchoires naissent des dents tranchantes et dentelées, entre lesquelles se tortillent les têtes de  tortues malchanceuses…Sur la peau épaisse et rugueuse du poisson vorace au corps  encore assez peu développé, d’innombrables écailles placoïdes et, oh la stupeur se lit sur le visage mal rasé du biologiste quand il observe le poisson de derrière la grosse loupe : des dents plates poussent entre les écailles ! Ah, oui, j’oubliais…chez le requin, dents et écailles, même origine embryonnaire…

De Ferdinand V., un déménageur retraité, il ne reste rien, même pas ses deux yeux de poisson mort…

Max termine à peine de prendre note que la sonnette du magasin retentit. Il verse le liquide mauve dans une fiole et grimpe quatre à quatre les escaliers…

─ Bonjour l’ami ! lance-t-il d’une voix haletante au grand chauve planté devant lui…Que puis-je pour vous, l’ami ? Une petite idée ? J’ai un catalogue avec toutes sortes de dessins, si besoin…

─  Ouais, répond le gars, en soulevant son tee-shirt vert, je vois bien tatoué ici, poursuit-il en se passant la paume de la main sur sa poitrine sans poil, un rhinocéros très très gras…

─ Parfait ! rétorque Max, sans hésitation, couchez-vous ici …J’injecte l’encre mauve dans mon appareil et l’aiguille dessinera d’un trait  l’animal, vous verrez ! Facile et sans douleur !

─ Une corne en plus, juste au-dessus de la queue, c’est possible ? demande le grand chauve, d’une voix pleine d’espoir…

─ Une corne en plus au-dessus de la queue ? C’est de la toute grande création tout ça ! Et ici, on n’est plus à un détail près, glousse Max dit le tatoueur, tout en salivant de satisfaction…

 

 

Carine-Laure Desguin

http://carinelauredesguin.over-blog.com/

 

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