Edmée de Xhavée a lu "Aiguillage" de Pascale Gillet-B

Publié le par christine brunet /aloys

 

 

Ça ressemble un peu à un de ces problèmes casse-tête qui accélérait notre pouls en classe : deux trains partent d’un point A et d’un point B, et se dirigent vers un point unique C. Compte tenu que la vitesse du train parti de A est d’autant, et que celle du train parti de B d’autant, à quel endroit vont-ils pouvoir réunir leurs wagons pour aller vers C ?

 

Ici le « problème » est : Comment d’un deuil insurmontable peut-on pétrir un avenir illuminé d’amour ? Comment le souvenir cesse-t-il un jour de brûler, de paralyser, de hurler c’est fini, pour devenir celui d’une grande joie trop courte mais assez profonde pour avoir semé l’espoir et le goût du bonheur ?

 

Marguerite et Jonas ignorent qu’ils sont montés dans ces trains qui n’en formeront qu’un seul, se dirigeant vers une gare fleurie aux quais chauffés par un gai soleil, où les rails de métal luisent comme des couverts, posés sur des poutres saines et robustes, et où une pétulante fanfare joue tout ce qu’on veut pour autant que ça fasse chanter.

 

L’auteure a mis un peu de son drame et de son deuil dans les personnages, comme un jeté de fleurs qui ne faneront pas. Car il y a aussi l’apaisement que l’on trouve dans la terre, la simple terre qui nous aime tant si nous prenons conscience de ses arômes, teintes et offrandes. Et elle est présente dans le livre, même parfois sous une forme exubérante :

 

Son jardin était à l’abandon depuis la mort de son mari, deux années plus tôt, si bien que le travail à exécuter était considérable. Son parterre couvrait anciennement une trentaine de mètres carrés. Les fleurs de pépinière y avaient quasi disparu, asphyxiées par les orties et leurs radicelles vicieuses, les renoncules jaune doré lançaient  impunément leurs stolons autour d’elles, et les pissenlits s’étaient installés avec leurs racines charnues, grasses, si gracieux en cette saison, avec  leurs aigrettes blanches.

 

Il partait pour de longues marches nocturnes avec Soupir. Assurément, quand ses frayeurs l’envahissaient, il puisait sa force dans la beauté de la nuit, sa noirceur à l’infini, les contours diffus de ses paysages ténébreux, parfois surlignés par la lumière laiteuse de la lune qui transformait tout ce qui l’entourait en clichés noir et blanc.

 

La limace était devenue sa bête noire ! Une vraie calamité, un fléau persistant. Cet animal mou et importun mangeait goulument toute la végétation qu’il rencontrait. (…) Refusant de céder face à leur lent et collant assaut, il avait creusé une marre pour attirer les crapauds et les grenouilles, friands de limaces. Mais ces bestioles gluantes sévissaient toujours. (…) Il s’était alors soumis à la nature et avait accepté que cette bête baveuse et répugnante soit un prédateur naturel qu’il fallait observer et combattre au quotidien mais qu’on ne pouvait extirper de son milieu.

 

Je craignais un peu la lecture de ce livre, sachant qu’il avait jailli d’un évènement douloureux, et j’étais donc méfiante. Puis je l’ai lu parce que l’auteure irradie de vitalité, et que loin de porter « un deuil » elle semble plutôt porter une autre vie, comme une vestale qui porte les braises, sans aucune tristesse inutile, mais avec l’amour qui se réchauffe à la lueur incandescente de sa précieuse lanterne…

 

Et en effet, la force du bonheur y est plus forte que celle du drame, et permet que les deux trains se réunissent sur un seul rail pour se diriger vers la pimpante gare…

 

Edmée de Xhavée

 

 

Publié dans Fiche de lecture

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
J
Du positif donc. J'ai quand même souri avec cette sacrée idée d'Edmée d'une comparaison ferroviaire ! Il fallait y penser ! Et Edmée prolonge au-delà : "les rails luisent comme des couverts …". Une note de lecture bien originale, enthousiaste et plaisante qui atteint son but. … Cette dernière phrase appliquée à la note définit en soi Edmée herself (si, si, relisez ma phrase en changeant "une note de lecture" par "Edmée") Hiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiii
Répondre
B
L'idée qu'un événement douloureux tel un deuil n'est pas la fin du monde en soi et que le monde est porteur de tant d' événements à venir plus heureux me touche beaucoup .Après la tempête, le soleil réapparaît toujours... Cette histoire devrait me plaire !
Répondre
E
J'ai réellement aimé ce livre, que pourtant j'ai abordé avec prudence. Et puis c'est un bien beau voyage que l'on y fait!
Répondre
C
Une note de lecture qui invite à lire ce livre. Et d'autant plus que l'auteure est une personne très sympathique. Je me souviens encore de notre première rencontre, à Braine L'Alleud.
Répondre
P
Dommage que la couverture soit si terne et si peu attirante ! <br /> Un récit qui me plairait certainement. Merci à Edmée de le présenter de plaisante façon !
Répondre