Texte 1 : concours sur l'imaginaire

Publié le par christine brunet /aloys

La première chose que je peux vous dire, c’est que jamais je n’aurais cru possible ce qui m’est arrivé.

    C’était un lundi d’un froid glacial, apparemment venu de Sibérie.

    Le lundi 26 février 2018.

    Les routes et les trottoirs étaient gelés, le blanc du ciel se confondait à la brume vaporeuse jusqu’au sol, et malgré les recommandations de Romain, mon mari, j’avais tout de même décidé d’aller travailler. Deux longues heures de route les mains cramponnées au volant à maudire les conditions climatiques, les automobilistes imprudents, les déneigeuses inefficaces. Je ne sais pas vous, mais moi, quand j’arrive à destination dans ces conditions, j’ai dans la tête ce petit air de triomphe d’y être parvenue sans une seule égratignure.  Carrosserie comprise !

C’est peut-être cet air de triomphe qui m’a perdue ce jour-là…

    La barrière du parking s’est levée et, à l’emplacement habituel, le numéro 23, j’ai stationné mon véhicule. Je me souviens du bip bip de la fermeture centralisée et du souffle frigorifique à l’ouverture de la portière. Sur le bitume pailleté, j’ai avancé tel un caneton en manque d’assurance, les palmes quelque peu glissantes. Prudence prudence, me répétais-jeEt c’est doucement, mais sûrement, que les bureaux se sont approchés. Encore quelques mètres et je clenchais la lourde porte d’entrée extérieur. Juste quelques mètres… Sauf que ce jour-là le cours de ma vie n’a tenu qu’à un pas.

Alors que je réfléchissais à mes tâches matinales, à cette réunion en particulier pour définir les modalités d’automatisation des annexes aux comptes annuels, ma semelle a ripé. Tout s’est passé si vite ! J’ai basculé en arrière et, de tout mon long, j’ai frappé le sol, la tête la première. Une douleur foudroyante s’est répandue comme un venin irrépressible, à la fois glaçant et brûlant. Je me rappelle avoir touché du bout des doigts mes cervicales, du rouge-sang de mes phalanges, et de quelques images apparaissant et disparaissant au gré de battements de paupières de plus en plus récalcitrants : le ciel blanc, le gyrophare de l’ambulance, les gens qui s’affairent autour de moi. L’hôpital. Les bips. Et puis, plus rien.

    C’est terrible, devez-vous penser, et vous auriez bien raison, mais le pire reste à venir. Je ne sais pas combien de temps je suis restée ainsi, éteinte, sur ce lit, chambre 322, je ne sais pas non plus si j’ai subi une intubation, une réanimation ou même une quelconque opération. Je n’en sais absolument rien. Tout ce que je sais c’est qu’un beau soir, tandis que le ciel se rosissait, j’ai repris ce que l’on peut appeler un soupçon de vie. Un soupçon ? Ah, là est la question. Je vous laisse juge de trouver le bon qualificatif…

Je me suis vu allongée, les yeux fermés, le drap jusqu’au cou. A mon chevet, Romain, mal rasé, les cernes tristes et, entre ses mains, un livre ouvert au titre bien connu : Robinson Crusoé. Romain me faisait la lecture. Et moi, je flottais comme une ombre pensante détachée de son corps éteint. Désancrée, dédoublée, je voyais et entendais tout. Chaque parole. Chaque articulation. Jusqu’à ce que, subitement, les mots se soient mis à m’aspirer, me happer. Littéralement parlant ! Comme on glisse sur un trottoir, je venais de glisser dans le papier ! Et plus exactement dans la peau de Robinson !

    C’est ainsi que je me suis retrouvée, comme ça, au beau milieu de compagnons morts, survivante d’un naufrage, et au fil des pages, livrée à moi-même sur une île déserte, rongée par la faim et la désespérance. Mon Dieu !

    Heureusement, tout s’est bien terminé.

Enfin… Pour Robinson. Car depuis, les romans ne cessent de me vampiriser.

A peine ai-je conscience que tout finit, que tout recommence. Une histoire sans fin !  

Après l’île déserte, ce fut un escalier, au château de Castelmore, croisant le fer dans l’armure de D’Artagnan ! Et de lecture en lecture : Docteur Jivago, Miss Peregrine, Jean Valjean, Cyrano de Bergerac, Manon des sources, Arsène Lupin, Esméralda, Pinocchio, la Comtesse de Ségur, Emma Bovary, Ulysse, le Petit Prince... Et j’en oublie !

    Satané lundi 26 février 2018...

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V
Quelle idée originale! ¨Être vampirisée par des livres. J'aime beaucoup :)
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E
Je ne trouve le temps qu'aujourd'hui, mais ça valait la peine... Quel terrible destin, que de passer de roman en roman, alors que tout ce qu'on souhaite est de retrouver sa vie à soi toute seule. Belle trouvaille!
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P
Etre aspiré par les livres et rencontrer ses héros favoris, c'est chouette, non? Il faut pouvoir en revenir et l'auteur n'explique pas les démarches à suivre...
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M
Belle imagination !
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B
que de bons livres…
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