Texte n° 8 Concours
L'organisateur désigne une table couverte d'un drap blanc coincée entre deux planches :
– Vous aurez assez de place ?
C'est le premier salon de mon premier roman. Jusqu'à présent, je l'ai vendu sous le manteau principalement à des amies de ma mère. Evidemment, j'ai assez de place.
Je me suis réveillée contente, un peu inquiète aussi. J'ai réfléchi à la tenue adéquate. Un jeans. Associé à un chemisier blanc, il souligne le côté sérieux de l'auteur. Et lorsque j'enfile un blouson de cuir, souffle un vent d'irrévérence. Je porte donc un jeans le seul jour de l’année où il ne faudrait pas, comme l’histoire nous le dira.
La manifestation littéraire bretonne est installée sous une haute verrière transparente. Disposés en piles bien ordonnées, mes exemplaires ont l'air un peu perdu sur la grande table. Mon voisin de droite propose des romans policiers. Dès qu'un un visiteur s'approche, il se lève d'un bond et questionne, livre en main :
– Vous aimez les enquêtes mystérieuses ?
Si la réponse est oui, il enchaîne sur un argumentaire bien rodé. Si le futur acheteur n'apprécie pas les thrillers, il rétorque invariablement :
– Laissez-moi être votre première fois !
A ma gauche, l'auteur a posé entre ses livres un bocal contenant ce qui ressemble à un cerveau en plastique flottant dans un liquide indéterminé. Il se penche vers moi et murmure avec un air complice :
– J'ai placé mes neurones dans le formol. Je vais pouvoir raconter n'importe quoi toute la journée !
Je lance discrètement une recherche sur mon téléphone concernant le pourcentage d'écrivains ayant effectué des séjours en services psychiatriques.
Puis, j'avance ma pile de C'est quoi ton stage ? de trois millimètres. Et je souris. Je dis bonjour. J'arrête de dire bonjour parce que je crois que ce salut fait fuir les rares curieux qui s'approche de ma couverture bleue. Je renseigne :
– C'est un adolescent qui effectue un stage en maison de retraite. Non, il ne s'agit pas d'un récit autobiographique. Oui, c'est bien difficile de trouver un stage pour les jeunes. C'est sûr, le gouvernement n'aide pas. Vous ne voudriez pas plutôt qu'on parle du livre ?
Midi passe. Selon un rite immuable, le soleil tourne et chauffe mon dos. C’est un peu le principe de la serre tropicale. Mon tee-shirt se liquéfie, mon jeans semble découpé dans une toile de fourrure polaire. Les visiteurs grimacent : vous avez l’air d’avoir chaud, vous n’êtes pas très bien placée. J'ai la tête d’un gant de toilette après usage. Mon voisin, en bras de chemise, ne lâche pas son stylo et enchaîne les ventes tandis que je dessine des fleurs sur la nappe.
– Au moins, vous avez le temps de réfléchir à votre prochain ouvrage, ironise-t-il.
Le miracle aux cheveux blonds arrive peu avant la fermeture. Elle s'approche, examine la quatrième de couverture et s'exclame avec enthousiasme :
– J'en ai entendu parler à la radio. Ils disaient que c'était très réussi.
Evidemment je n'ai accordé aucune interview à la presse, évidemment aucun journaliste n'a vanté mon roman mais je repousse une mèche collée sur mon front moite et propose sur un ton détaché, comme si je ne rencontrais pas ma toute première lectrice de la journée :
– Souhaitez-vous que je vous dédicace un exemplaire ?