Janna Réhault nous propose un résumé de son roman "La vie en jeu"

Publié le par christine brunet /aloys

Janna Réhault nous propose un résumé de son roman "La vie en jeu"

Le présent roman est une sorte d’anti-utopie. A première vue il s’agit d’un meilleur des mondes qu’on peut s’imaginer selon nos aspirations d’aujourd’hui : la violence est minimisée ; les crimes ne se font pratiquement plus ; la vie humaine et les droits de l’homme sont sacralisés ; les maladies sont vaincues par l’ingénierie génétique ; ceux qui subissent une mort non naturelle « ressuscitent » grâce au clonage ; ceux qui subissent des chocs psychologiques se font libérer de leurs traumatismes grâce à la modification de mémoire, etc. Pas de totalitarisme, ni d’asservitude des hommes par les robots.

L’action se déroule dans les années cinquante du 21ème siècle dans la Fédération Européenne. Les gens voient leur vie se déplacer progressivement dans les espaces virtuels dont les prototypes sont des métavers d’aujourd’hui. C’est là que se vit la vie sociale, professionnelle, sentimentale. La plupart des résidents des métavers ne quitte le monde virtuel que par nécessité, pour satisfaire le minimum de leurs besoins vitaux. Ils identifient leur personnalité à leurs avatars dans le métavers, la soi-disant « e-identité », pendant que leur être du monde réel se considère plutôt comme une enveloppe matérielle, un support de leur existence virtuelle.

La principale héroïne Alexandra est une jeune « normale » qui vit comme les autres, sans trop se poser de questions, jusqu’au jour où elle s’éveille. Son frère Théo (avec qui elle est extrêmement proche) se fait cloner après sa mort survenue suite à un accident. Cela sert de déclencheur, l’entraînant dans une quête intellectuelle et un questionnement sur le monde qui l’entoure et sur l’essence de la vie en général.

Plusieurs actions se déroulent simultanément. L’une d’elles commence par la participation d’Alexandra au mouvement des biophiles. Ce mouvement rassemble des jeunes « rebelles » autour d’un suicidaire Ruud qui réclame un droit de ne pas être cloné en cas de suicide. Or dans ce monde, le clonage d’un être humain est obligatoire s’il meurt d’une mort non naturelle. S’en suivent des manifestations, des débats télévisés, un procès et, au final, une décision de tribunal autorisant Ruud d’échapper au clonage après le suicide.

Une intrigue parallèle concerne la relation d’Alexandra avec son meilleur ami Max dont elle est secrètement amoureuse. C’est un jeune intellectuel qui se veut profondément humaniste mais qui reste le défenseur le plus ardent de cette société. Défendant les visions complétement opposées, ces deux protagonistes mènent tout au long du roman un duel idéologique. Alexandra dénonce ce qu’elle qualifie de nécrophilie sociale, en parlant de la société où le non-vivant (virtuel ou mécanique) devient l’objet des affections de l’homme, et où, grâce aux substituts tels que jeux vidéo, télé réalité, feuilletons, etc., on ne vit que par procuration. Quant à Max, il n’attache pas beaucoup d’importance au mode de vie des gens ; pour lui l’essentiel est qu’ils se plaisent dans leur monde (peu importe, réel ou virtuel) et que rien ne les fasse souffrir.

De même, leur relation évolue sur le plan sentimental. Max crée une femme virtuelle qui incarne son idéal féminin et dont il tombe follement amoureux. Jalouse au début, Alexandra apprend que pour créer son idéal, Max s’est servi d’elle comme d’un modèle, c’est-à-dire qu’il l’a programmé en se basant sur le physique et le caractère d’Alexandra. Une question s’impose : pourquoi au lieu de tenter la vraie relation avec la vraie Alexandra, Max préfère-t-il sa copie numérique ? Par timidité ? Ou bien parce qu’il est incapable d’aimer une femme réelle, et ne peut s’attacher qu’aux entités virtuelles ?

En ce qui concerne Théo, Alexandra est partagée entre l’amour pour son frère et une animosité envers son clone. Elle ne parvient pas à accepter ce dernier en tant que frère mais s’accroche à l’espoir que Théo continue à exister à travers lui. La barrière psychologique qui les sépare depuis, l’empêche d’aborder le problème directement et l’incite à chercher des moyens détournés. C’est donc dans l’espace virtuel que leurs retrouvailles devraient avoir lieu. Alexandra se lance dans un jeu vidéo en parallèle avec Théo, sans que ce dernier sache que le deuxième joueur est sa sœur.

Une autre controverse gravite autour de la modification de la mémoire, un procédé servant à éliminer les souvenirs traumatisants chez les individus. Son objectif peut paraître judicieux : libérer l’homme des souffrances du passé. En même temps, effacer les souvenirs négatifs n’équivaut-il pas à limiter, rétrécir ou réduire sa personnalité ? De même, en ce qui concerne les criminels : on ne les punit plus, on leur modifie la mémoire. On a abolie la tradition carcérale considérée comme inhumaine et inefficace. Cependant, est-ce tellement mieux d’enlever de force les souvenirs à un homme et ainsi l’obliger à être « gentil » ? L’éthique et le discernement moral ne doivent-ils pas rester plutôt dans le cadre d’un choix libre et personnel de l’individu ?

D’autres questions soulevées dans le roman portent sur l’art (vaut-il tous les sacrifices ? peut-on qualifier d’art celui créé par des machines ? etc.), sur les critères permettant de définir le bien-être d’une société, sur les responsabilités individuelle et collective (la tendance à rejeter la faute sur la société ne nous fait-elle pas perdre de vue la responsabilité individuelle de chacun ?), etc.

Le roman se termine par une victoire des biophiles. Ruud gagne son procès et peut dès lors se suicider tranquillement, sans se faire « ressusciter » par la suite. A cette occasion, une fête est organisée, ce qui annonce un happy-end éphémère, tout en mettant en évidence la contradiction idéologique de ce mouvement : ceux qui se disent biophiles – donc « aimants la vie » - finissent par célébrer la mort. La même ambigüité pour la part d’Alexandra : malgré l’échec évident de toutes ses entreprises, on peut dire qu’elle l’emporte tout de même sur le plan spirituel. Au bout du compte, elle trouve ce qu’elle cherchait tout au long de ses périples - le savoir aimer la vie.

Pour conclure, je voudrais dire que le contexte « futuriste » n’a pas été choisi par pure passion pour la science-fiction. C’est plutôt un moyen « technique » permettant de pousser à l’extrême les tendances de la société d’aujourd’hui afin de les remettre en cause. De la même manière que les scientifiques utilisent la modélisation pour simplifier une réalité complexe afin de pouvoir utiliser les lois sur les éléments modélisés, je fais abstraction de nombreux phénomènes majeurs, tels que la dégradation écologique, la misère du tiers-monde ou les conflits armés, dans l’hypothèse utopique qu’on parvienne tout de même à construire un monde sur les valeurs les plus sûres d’aujourd’hui. Il paraît judicieux alors de s’interroger : ce monde imaginaire serait-il celui dans lequel on voudrait vivre ?

Publié dans Textes

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J
Je ne peux que rejoindre les avis de mes collègues : sujet vaste, existentiel, vision de questions par le visionnaire potentiel. Vive les questionnements. Bravo pour ce travail de réflexion apportée au travers d'un roman.
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C
Ouf, que de sujets fondamentaux, de questions sur les valeurs données à la vie humaine. Le tout dans une ambiance futuriste difficile à contextualiser. Le sujet est ambitieux et difficile, avec beaucoup d'inconnues concernant le futur et je souhaite bon vent à ce livre.
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M
Le sujet est d'une extrême complexité. Embrasser à bras le corps le mode de vie actuel et les dérives qu'il engendre potentiellement est très ambitieux. Je serais curieuse de savoir si l'auteur parvient à accrocher son lecteur jusqu'au bout. Avec sympathie
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E
En effet, le début me semblait n'être "qu'une histoire de science fiction" (sans que ça soit diminutif :) ) et puis en lisant, je comprends que le futur est un lieu où on peut regrouper le meilleur et le pire vers quoi on pourrait se diriger. J'aime assez les questionnements qui sont soulevés tout au long du récit...
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