Un interview de Didier Fond pour son nouveau roman "La ballade des dames à poussette"

Publié le par christine brunet /aloys

Un interview de Didier Fond pour son nouveau roman "La ballade des dames à poussette"

Ce quatrième roman publié chez CDL ne ressemble vraiment pas aux précédents. Ces derniers pouvaient passer pour des ouvrages « sérieux », avec une intrigue solide, des secrets à découvrir, etc. Je ne veux pas dire que l’intrigue de La Ballade est inexistante ; il y en a une mais peut-être est-elle un peu moins rigoureuse et s’efface-t-elle plus volontiers derrière le comportement, les réflexions et les idées véhiculées par les personnages.

Un roman didactique, La Ballade des dames à poussette ?

Certainement pas. Déjà rien que le titre vous montre que l’on entre dans un univers qui n’est pas vraiment sérieux ou qui ne veut pas se prendre au sérieux, malgré les dérapages malhonnêtes de ces dames…

Le titre, justement. Comment un roman peut-il être une « ballade », ce genre poétique hérité du Moyen-Age ?

Evidemment que ce n’en est pas une au sens strict du terme. Mais je me suis beaucoup amusé à structurer le roman comme une ballade, c’est-à-dire qu’il y a trois « strophes » (en fait, 3 parties), un refrain entre chaque « strophe » et à la fin, un « envoi ». Au niveau de la forme, je fais référence aux poètes du Moyen-Age, Villon par exemple. Mais la ressemblance s’arrête là.

Car le contenu, lui, n’a rien à voir avec la poésie ?

« Rien à voir » c’est le moins qu’on puisse dire. Ne cherchez aucune trace de poésie là-dedans, vous n’en trouverez pas. Ou alors, vous avez une idée une peu particulière de la poésie. En fait, le contenu n’est pas toujours « politiquement correct ». On peut même le trouver parfois très provocateur mais l’avertissement qui ouvre le récit permet d’une part de prendre une certaine distance par rapport à ce qu’on va lire et d’autre part de choisir son camp : soit c’est la condamnation de la cupidité, soit c’est l’apologie de la malhonnêteté. Au lecteur de décider.

Elles sont donc si atroces, ces dames ? Pourtant, la couverture les représente en train de danser, elles semblent pleines de joie de vivre…

… Et de fric car si vous regardez bien, vous verrez qu’elles dansent sur un tapis de pièces d’or… Car l’argent est le moteur de leur existence. Et elles sont prêtes à tout pour « gagner plus » ; elles peuvent même aller jusqu’au meurtre. Elles sont redoutables quand on a le malheur de se mettre en travers de leur route, les voisins vont vite s’en apercevoir, ces malheureux qui les jalousent et passent leur temps à les espionner.

Finalement, elles sont bien moins sympathiques qu’elles le paraissent.

Je serais plus nuancé à leur égard. C’est vrai qu’au début, ce sont des dames fort respectables mais qui montrent vite qu’elles n’ont aucun scrupule ; il ne faut pas chercher à savoir ce qu’elles font avec leurs poussettes. Mais honnêtement, je n’arrive pas à trouver mes dames antipathiques, bien que je sois féroce avec elles… Pour preuve, la fin, qui va surprendre plus d’un lecteur et me faire peut-être taxer de totale immoralité…

Mais le roman ne se limite pas à présenter des dames peu fréquentables. Le personnage de Maurice, par exemple, se charge de faire passer quelques critiques plus générales qui révèlent peut-être la pensée de l’aueur ?

Oui et non. Encore une fois, l’avertissement est là pour dire « attention, il s’agit d’un roman, le trait a été forcé, le personnage peut dire des horreurs mais l’auteur ne partage pas son extrêmisme et, disons le mot, sa misogynie. Par contre, il peut partager son avis sur des comportements que l’auteur a observé dans la rue ou dans les transports en commun. » En fait, la question fait allusion au vieux problème qui se résume en une phrase : l’auteur est-il son personnage ? Réponse : évidemment non, nous sommes dans la littérature, pas dans la réalité et pas non plus dans l’autobiographie, même si certaines critiques sont communes à l’auteur et au personnage. Donc on peut également sans problème trouver mes dames amusantes et pas si odieuses que ça.

La Ballade, si l’on en revient à la forme, c’est aussi un roman polyphonique ?

Tout à fait. Je m’étais déjà essayé à cette forme un peu partiulière dans La Maison-Dieu. Mais il n’y avait que trois voix et elles n’étaient pas vraiment caractérisées. Là, c’est très différent. Dans La Ballade, on entend huit voix différentes en alternance : quatre personnages parlent au « je » et ont chacun leur façon de s’exprimer ; les quatre dames à poussette, elles, ne font pas entendre directement leur voix et c’est un narrateur qui prend le relais : leurs interventions sont donc au « il » mais j’ai introduit pour chaque dame un mot, une expression récurrente. Par exemple, pour France, c’est le terme « adorable » qui revient sans cesse. Elles ont donc chacune un tic de langage qui les caractérise, sauf une, Lydia. C’est la plus intelligente, la plus énergique, celle qui échafaude tous les plans pour éliminer les obstacles ; j’ai voulu la différencier des autres, montrer qu’elle n’avait pas en elle ce snobisme sous-jacent qui se révèle dans les tics de langage. Cela n’a pas été facile à faire, je le reconnais, et je ne sais pas si le résultat est concluant.

D’où l’idée d’écrire un roman comme celui-ci t’est-elle venue ?

Je n’en sais strictement rien. En fait, j’ai pris un stylo, une feuille de papier, j’ai écrit les noms des personnages, leurs caractéristiques, et puis j’ai commencé à rédiger, sans savoir où j’allais. L’intrigue s’est construite petit à petit, d’où les nombreuses rectifications qu’il a fallu faire. Ce n’est pas du tout ainsi que je travaille d’habitude : j’ai besoin d’un canevas solide et détaillé pour pouvoir écrire un roman. Là, tout s’est fait tout seul, au gré de l’inspiration, si j’ose dire. Cela vient peut-être du fait que je trouve ce roman moins « sérieux », comme je l’ai dit auparavant, que les précédents ; je me suis énormément amusé en l’écrivant, et j’espère que les lecteurs s’amuseront aussi. Il y a longtemps que je voulais écrire un roman « léger », où les personnages feraient un peu n’importe quoi. C’est fait.

Le mot de la fin ?

Il est évident : mes dames ont besoin de lecteurs. Courez vite acheter leur roman.

Extrait

CHRISTIAN SPECTATEUR

Le trottoir d’en face est de plus en plus à la masse. Passons sur le fait que Sophie se balade à dix heures du soir en pantoufles dans la rue, ce n’est qu’une excentricité de plus. Encore que venant d’elle, c’est quand même étonnant.

J’sais pas (pardon : je ne sais pas) si la confrérie des niaises a avalé un tombereau de piles électriques, mais elles sont d’un surexcité ! Et je te promène mon gamin dans tous les sens, à n’importe quelle heure, et j’te fais (oh zut, je te fais) trois fois dans la matinée le trajet villa - jardin des Treilles, le regard vissé à terre au cas où un éléphant échapperait à ma vue, tout ça en comptant le nombre d’enjambées qui me sépare du parc et de ma piscine, ou de mon jacuzzi… Quant aux papotages, ils ont pris une dimension cosmique. Elles n’arrêtent pas de se chuchoter des âneries (cela peut-il être autre chose ?) à l’oreille. Avec leurs poussettes à la con, elles vont finir par créer un embouteillage dans la rue à force de passer, repasser, s’arrêter, discutailler, etc.

Ce qui est un indice encore plus sérieux qu’il y a quelque chose de bizarre, c’est que France ne sort plus son quatre-quatre. D’habitude, il lui sert à aller chercher sa baguette de pain à la boulangerie du coin. Maintenant, elle utilise ses jambes. Je rêve. Et le mieux, dans tout ça, j’le dois (oh, fait chier ! Je le dois) à la curiosité de Sylvie. Est-ce qu’elle ne s’est pas mis en tête de surveiller tout ce beau monde histoire d’occuper son temps libre ? Elle ferait mieux de consacrer ses loisirs à autre chose, à moi par exemple, mais je reconnais qu’elle fait des découvertes intéressantes.

Pour avoir une idée de l’atmosphère délirante qui règne dans les rangs de ces tapées, il faut examiner le cirque auquel elles se livrent dans le jardin des Treilles. Elles essaient tour à tour tous les bancs, se font des p’tits signes (putain ! des petits signes), semblent poser des jalons ou faire du repérage. Mais repérage de quoi ? A peine une est-elle installée qu’elle se lève d’un bond, comme si elle s’était enfoncé une punaise dans le cul, regarde autour d’elle, agite la main en direction des autres, éparpillées aux quatre coins du parc ; on lui répond par des grimaces et puis tout le monde se lève, on prend sa poussette et on passe sur le banc d’à côté. Nouveau cinéma : l’une fait « non » de la tête, l’autre « oui », l’autre sans doute « chais pas » (connerie ! Je ne sais pas) et ça recommence.

Ra-va-gées, les petites mères.

Sylvie prétend qu’elles ont trouvé un nouvel amusement pour attirer les regards sur elles. Elles devaient penser que l’admiration du quartier s’essoufflait et qu’il fallait inventer un nouveau truc chicos-tendance pour en mettre plein la vue aux voisins. Jouer les débordées actives. Se montrer des mères comme on n’en voit plus, avec un M majuscule. Outre leur nouvelle manie de tester tous les bancs du jardin, il paraît qu’elles passent leur temps à se pencher sur leur poussette pour remettre la couverture en place, tripoter le gamin, faire semblant de glisser quelque chose sous les draps… On jurerait, d’après Sylvie, qu’elles répètent un rôle.

Publié dans interview

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E
J'aime l"écriture de Didier, même si je n'ai lu qu'un seul ouvrage encore, mais je suis toujours tentée... et je sais que j'en lirai un second, ne résistant pas à toutes les tentations....
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