Jean Destree vous propose un extrait de "Faux éloge de ?"

Publié le par christine brunet /aloys

Jean Destree vous propose un extrait de "Faux éloge de ?"

Faux éloge de ?

La cloche interrompit brusquement ce subtil échange. Chacun rangea ses affaires dans un calme qu’il ne connaissait plus depuis longtemps. C'est vrai que la classe de Couturier ne se passait presque jamais sans un petit chahut ou le bourdonnement des bavardages continus. Mais aujourd’hui, une sorte de silence presque respectueux s’était installé et personne ne voulait le trahir. Chacun sortit en saluant le prof qui se demanda ce qu’il lui arrivait. Et si cette classe de joyeux garnements ne lui réservait pas un mauvais tour. Comme il se trompait!

C‘est vrai enfin, pourquoi se chiner la santé à courir derrière des activités qui ne servaient qu’à enrichir quelques individus dans le monde dont le seul objectif est de se remplir les poches sur le dos de milliards de pauvres types qui ne peuvent faire autre chose que de travailler pour eux. Jean-Robert ruminait tout cela en rentrant chez lui. Son air maussade surprit sa mère qui s’en inquiéta.

- Tu n’es pas bien?

- Si.

- Pourquoi fais-tu cette tête?

- Je ne fais pas la tête. Je réfléchis.

- C’est bien la première fois que je t’entends dire que tu réfléchis. C‘est pourquoi tu m’inquiètes.

- Tu n’as pas à t’inquiéter.

- Alors je ne dis plus rien, mais quand même, tu n’as pas l’air d’être dans ton état normal.

- C’est quoi un état normal?

  • Oh ! tu m’horripiles avec ton habitude de toujours poser des questions auxquelles je ne sais pas répondre. Je n’ai pas fait des études comme tu as la chance d’en faire. A ton âge, il y avait longtemps que je faisais la servante dans une ferme. J’en ai bavé, tu sais parce que les patrons n’étaient pas toujours faciles. Quand la patronne voulait jouer à la madame, c’était encore pire. «Louise, les serviettes! Louise, les chaises! Louise, les couverts en argent! Louise ici, Louise là-bas!» Et il fallait toujours être impeccablement propre malgré qu’on me faisait ramasser les crottes, les bouses et le reste. Alors cherche toi-même ce qui est normal.

- Mais maman…

- Il n’y a pas de «mais maman» qui tienne. Tu pourrais quand même me répondre quand je te parle.

- Ben voilà, répondit Jean-Robert, devenu tout penaud. Je me suis fait piéger par Couturier.

- On dit Monsieur Couturier, quand on est poli.

  • Bon, par Monsieur Couturier. Figure-toi que pendant son cours, j’ai demandé pourquoi on n’avait jamais élevé une statue à l’inventeur du lit. D’abord, il m’a envoyé chez le proviseur qui m’a donné un travail. Par après, il nous a fait un vrai discours de militant de gauche qui nous a tous laissés pantois. Et pour finir, il nous a donné à préparer un dossier sur l’histoire du lit. J’aurais mieux fait de rester couché, cela m’aurait évité de me faire massacrer par mes copains.

- Et tu es bien avancé maintenant avec ta manie de toujours lancer des réflexions farfelues. Que cela te serve de leçon. La fois prochaine, tu te tairas, cela vaudra mieux.

Pauvre maman! Elle se donne bien du mal pour me faire admettre que le travail est quelque chose de sacré. Et pourtant… quand on sait comment est née l'idée de travail, l'homme devrait avoir honte d'utiliser ce mot synonyme de torture, de tourment, de calvaire, de punition.

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