Un rêve étrange, une nouvelle en deux parties signée Philippe Wolfenberg

Publié le par christine brunet /aloys

Un rêve étrange, une nouvelle en deux parties signée Philippe Wolfenberg

(Une nouvelle écrite en hommage au livre “Nina” de “Frédéric Lenoir & Simonetta Greggio”)

Lorsque je me réveille, au petit matin, je comprends immédiatement que cette journée sera différente des autres. Il règne, dans l’air venu du large, un parfum d’optimisme que je n’ai plus respiré depuis longtemps.

J’ouvre les volets à claire-voie : le bleu du ciel se mélange à celui de la mer et le soleil caresse la cime des pins.

Je sors sur le balcon et, paresseusement installé dans un transat, je passe la baie en revue avant de m’arrêter sur le palazzo aux murs safran et contrevents émeraude.

l

Au moment d’aborder les premières échoppes du marché qui se tient sur la plus grande place de la ville, je m’aperçois que je suis en avance. C’est, en effet, dans un peu moins d’une demi-heure que je dois rencontrer Rosario, le chef du restaurant dont je suis propriétaire, à parts égales avec un ami, et où je m’investis afin d’oublier la vacuité de mon existence.

J’ai beau essayer de me souvenir pourquoi je suis malheureux depuis tant d’années, si plein de nostalgie et d’insatisfaction mais rien n’y fait : l’oubli est total ! Comme si mon esprit, guidé par l’instinct de survie, se protégeait d’un passé trop douloureux. L’inquiétude engendrée par cette amnésie sélective semble, aujourd’hui, n’avoir aucune prise sur moi. L’influence bienfaisante du vent d’euphorie que j’ai ressentie plus tôt dans la matinée est toujours bien présente.

l

Rosario et moi favorisons les producteurs locaux et ne choisissons que les meilleures denrées. La renommée et la fréquentation de l’établissement prouvent que cette conception est en adéquation avec notre clientèle.

Ce soir, ainsi que les soirs précédents, salle et terrasse affichent complet. Entre deux ou trois salutations à des habitués et les compliments de circonstance à leurs épouses, je m’octroie un instant de quiétude, appuyé à la rambarde, à contempler le soleil s’abîmant dans les flots au milieu des nuances subtiles d’or et de sang.

Soudain, une intuition m’oblige à tourner la tête. Relativement proche de l’endroit où je me trouve, une jeune femme sirote un espresso. Ses beaux yeux marron – qui changent de couleur aléatoirement jusqu’à devenir verts – me fixent avec impudence. Elle a le teint légèrement hâlé, des cheveux mi-longs et bouclés de la couleur d’un corbeau et des courbes enjôleuses admirablement mises en valeur par sa robe moulante.

Le sourire engageant qui se dessine sur ses lèvres pulpeuses et m’est, sans nul doute, destiné achève de me convaincre d’entamer la conversation.

  • Buonasera[1]… Le dîner vous a plu ?
  • Mi è piaciuto molto ! Grazie[2]
  • Puis-je vous offrir un digestif ?
  • Avec plaisir… Si vous acceptez de me tenir compagnie…
  • Guido ! Apporte-nous deux verres de limoncello, s’il te plaît…
  • Comment avez-vous deviné qu’il s’agit de ma liqueur préférée ?
  • Le hasard…
  • Il n’y a pas de hasard… Par exemple, ma présence ici… Je suis journaliste et j’ai entrepris de rédiger un guide répertoriant les tables les plus emblématiques de notre belle région…
  • Ce n’est donc pas pour moi ? Vous m’en voyez extrêmement déçu…
  • Bien sûr que si ! J’aimerais que vous me racontiez l’histoire de ces lieux, la vôtre et celle des gens qui travaillent avec vous… Des anecdotes sur les clients, aussi… Vous voulez bien ?
  • J’accepte ! Puisque ça me permettra de vous revoir…
  • Grazie mille ! Ciao[3] !
  • Ciao !

Alors qu’elle s’apprête à monter dans sa voiture, elle se ravise, revient sur ses pas et me fait un signe de la main.

  • A propos, je m’appelle Nina… A domani[4] !

l

Le lendemain, assis sur un banc juché au sommet de rochers surplombant la Méditerranée et protégé du soleil par le feuillage d’un bosquet de caroubiers, j’ai la sensation d’être un adolescent qui vit son premier rendez-vous amoureux. Evidemment, je ne suis pas dupe : il ne s’agit que d’une banale interview ! Cependant, j’ai envie de me laisser guider par cette légèreté à laquelle, il y a peu encore, je ne croyais plus.

Un bruit de pas, de plus en plus proche, puis la voici qui débouche entre des buissons de laurier-rose.

Elle porte un chemisier échancré et noué sous la poitrine ainsi qu’un short en jeans déchiré et une paire d’espadrilles.

  • Buongiorno[5] ! Je suis contente de vous revoir…Et pas seulement pour le travail…

Le regard qu’elle me lance, en disant cela, est tendre et amusé à la fois. Se pourrait-il que…

  • Je le suis tout autant, Nina…

Elle remarque la glacière à mes côtés.

  • Vous avez pensé au casse-croûte ? C’est bien !
  • Pain, pâté de poisson et une bouteille de Campanaro dont vous me direz des nouvelles…
  • Vivement midi !

De son sac, elle sort un enregistreur numérique, un calepin et un stylo à bille.

  • Prêt ? Andiamo[6] !

Il est passé treize heures quand nous nous rendons compte que nous sommes affamés. Après le repas, mon exquise compagne range son matériel, se lève et s’approche du bord de la falaise. Elle s’étire délicatement – de la même manière que le fait un chat, au lever – tandis que le vent ébouriffe sa magnifique chevelure noire. Je la rejoins et nous parlons de nous ; de notre enfance, de notre jeunesse, de l’âge adulte qui nous a privés de nos espérances. Aussi surprenant que cela paraisse, pour des inconnus, nous nous comprenons sans rien devoir expliquer. (...)

Philippe Wolfenberg

notes :

[1] Bonsoir…

[2] C’était très bien ! Merci…

[3] Merci beaucoup ! Salut !

[4] A demain !

[5] Bonjour !

[6] Allons-y !

Publié dans Nouvelle

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
R
Joli texte concernant une rencontre qui promet ....<br /> <br /> Tout dépendra de la suite .... A bientôt.
Répondre
P
Merci pour votre appréciation... J'espère que la suite vous a plu...