A deux pour la vie, le dernier épisode du feuilleton de Carine-Laure Desguin

Publié le par christine brunet /aloys

A deux pour la vie, le dernier épisode du feuilleton de Carine-Laure Desguin

Episode 4 : Dans la galerie d’art…

— Monsieur Leclerc ? Ah oui, monsieur Leclerc a pris son repas très tôt ce matin, je suis désolé mademoiselle ! affirma le garçon de salle en s’affairant pour réassortir le buffet.

— Bien, bien…

— Déposez le livre à la réception ou attendez jusqu’à ce soir, monsieur Leclerc passera encore une nuit ou deux dans cet hôtel !

— Ah, très bien alors !

Une grosse pelote couverte d’aiguilles lui traversait la gorge. Son cœur était meurtri et un grand vide lui signalait qu’elle, Estelle Debierge, venait de sombrer dans un romantisme qui ne lui ressemblait guère, et c’est bien cela qui la tracassait. Le visage de Medhi Leclerc s’était imprimé devant ses yeux et son sourire ne cessait de la regarder. Il lui semblait qu’elle le voyait partout, sur les trottoirs, dans le métro, sur les façades des immeubles, partout.

Au cimetière de Montmartre, elle prit de nouveaux clichés mais ne découvrit plus rien de palpitant. Elle semblait porter moins d’intérêt à la tombe de « La Goulue », et à tous ces artistes que l’on enterrait la nuit. Est-ce vraiment ces balivernes qui attireraient l’attention des adolescents ? Toute la journée, elle traîna les pieds sur le boulevard de Clichy, et c’est avec toutes les peines du monde qu’elle grimpa vers le haut de la butte. Dans la rue Gabrielle, une rue assez calme, elle vit qu’on débarquait d’un camion de très grandes fresques et ce déménagement attira son regard. Elle s’approcha et, à travers une des larges fenêtres, elle s’aperçut qu’une nouvelle galerie d’art prenait ses quartiers. A l’intérieur, deux hommes s’affairaient, ils calculaient des hauteurs, se passaient des cimaises, discutaient en montrant les fenêtres, sans doute des discussions par rapport à la luminosité. Cela distrayait Estelle mais soudain, sa respiration se coupa net. Était-ce possible ? Là, entre les tableaux, les rouleaux de papiers et toutes sortes d’outils, l’étreinte d’un homme et d’une jeune femme. Cette chevelure, ce dos, cette silhouette…Le couple se retourna et elle ne pouvait se tromper ! Cet homme qui embrassait goulument cette gamine, c’était …Medhi Leclercq ! Elle vit les yeux de braise de l’homme qui lui avait fait la cour toute une soirée ! Elle ne reconnut pas sa veste de tweed mais qu’importe. C’était donc ça, les quelques jours à Paris, chaque mois ! Monsieur ouvrait une galerie d’art et monsieur n’était pas libre !

Estelle pleurait de rage. Au lieu de grimper jusqu’à la butte, elle dévala quatre à quatre les petites rues et tous leurs escaliers, elle ne voyait plus rien, sa vue se brouillait. Essoufflée et en pleurs, elle rentra au café des Deux Moulins. Et ne s’assit pas ! Sous le regard consterné des clients, elle s’éclipsa et déambula presque toute la nuit dans les rues de Montmartre, aveuglée par ses sanglots et toutes sortes d’autres sentiments qui lui passaient par la tête. Vers trois heures du matin, elle s’écroula sur son lit et prit l’oreiller à témoin. Elle pleurait encore et s’en voulait d’être tombée dans le panneau, dans cette fameuse comédie qu’était l’amour. Elle, une fille intelligente et carriériste, pourquoi avait-elle dérogé de sa ligne de conduite ? Elle regarda le stylo que ce malhonnête avait eut l’audace de lui rendre, la veille au soir. Elle se souvint que ce matin encore, elle avait embrassé le stylo, cet objet qui avait frôlé la main et sans doute une partie du corps de Medhi Leclerc. Elle passa de longues heures à pleurer de rage et le lendemain matin, le miroir lui renvoya l’image d’une fille au visage déconfit qui n’avait pas fermé l’œil de la nuit.

— Bonjour Estelle, je vous ai attendue, hier soir…

Estelle mordillait dans son croissant, buvait une gorgée de café, elle se demandait ce qu’elle allait pouvoir répondre à ce Medhi Leclerc. Elle avait envie de le gifler et d’envoyer valdinguer dans son visage café, lait et confiture. Mais il lui sembla tellement irrésistible, là, debout devant elle, dans son beau costume de tweed et elle vit une telle interrogation au fond de ses yeux – presque du désarroi –, qu’elle se décida :

— J’ai pensé qu’après une journée comme celle que vous avez subie hier, vous aviez bien mérité votre repos…

— Permettez-moi, dit-il d’un air consterné et en prenant place juste en face d’Estelle, je ne comprends pas….Hier….Hier…

— Oui, hier, interrompit-elle et, reprenant ses esprits, hier, vous étiez tellement occupé dans cette galerie d’art, rue Gabrielle, que…

— Oui, hier ! J’ai passé la journée à enlever d’un gigantesque camion des peintures de toutes les grandeurs afin d’accélérer la mise en place de la nouvelle galerie d’art de mon frère…

— Votre frère ?

— Oui, mon frère jumeau, Joachim ! Il est artiste peintre et le vernissage de sa nouvelle galerie aura lieu la semaine prochaine ! Et j’ai l’impression d’être le seul à travailler, je viens plusieurs jours par mois à Paris, pour l’aider ! J’en délaisse même ma propre galerie de Lille ! Et le gredin, pendant que je m’affole avec toutes ses toiles, il passe tout son temps à courtiser sa nouvelle compagne ! Sous mes yeux !

— Oh, je comprends tout à présent ! Si vous voulez, asseyez-vous donc ici… ….Nous avons pas mal de choses à nous raconter…

Medhi caressa la main d’Estelle pendant tout le temps que celle-ci lui raconta, soulagée, la vérité sur ce voyage à Paris.

Rue Gabrielle, quelques jours plus tard…

Dans la grande salle, les invités embrassaient de leurs regards émerveillés les peintures signées Joachim Leclerq, de grandes fresques aux paysages surnaturels. Les portes étaient ouvertes et s’infiltrait à travers la foule un léger et délicieux vent printanier.

— Et si on rentrait à l’hôtel ? murmura la voix sensuelle de Medhi.

— Oui, répondit Estelle, avec de jolies flammes très coquines au fond des yeux…

Ce soir-là, arrivés devant les portes de l’ascenseur, les amoureux se blottirent dans les bras l’un de l’autre. En espérant prolonger cet instant pour l’éternité.

Carine-Laure Desguin

http://carinelauredesguin.over-blog.com

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P
Bonne idée le frère jumeau, après les larmes tout finit bien !!!<br /> Très plaisant.<br /> Bravo Carine-Laure !
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A
Ca fait plaisir, une histoire d'amour qui finit bien. Toujours autant d'allant dans le style et dans le rythme ! Bravo, Carine-Laure. Et bises !
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C
Ah cher Phil, hé oui l'ami, je suis romantique de ces temps-ci, l'été sans doute...<br /> <br /> @ Anne: pour une amourette qui passait par là ...
P
Comme promis, j'ai imprimé le texte et tout lu en une fois. <br /> Voilà Carine-Laure qui verse dans la romance. Mais pourquoi pas étant donné qu'elle a une quantité inimaginable de cordes à son arc.
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R
Interrompue en pleine lecture par l'arrivée des arrières-petits-enfants .... je viens d'avoir un moment d'accalmie et .... oh surprise, l'intrusion inattendue d'un super jumeau. <br /> <br /> Comme dans les histoires du baiser final de jadis ! Après tout pourquoi pas. Cela nous change agréablement de la morosité des histoires d'amour actuelles.<br /> <br /> Applaudissements de la salle .... comme au bon vieux temps. Sniff ! ...
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C
Merci les amis! Je sais que cette fin en somme tellement classique était ..presque inattendue. Mais pourquoi pas, il y a aussi des histoires d'amour qui se vivent dans la grande simplicité. C'est beau, le hasard d'une rencontre...
C
@ Philippe: le texte auquel je pense a été lu par un ami et il ne se tenait plus! Je le garde en espérant que pour un concours ou l'autre ...
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P
Je pense qu'une scène érotique (à condition d'être traitée de manière adéquate) donne du plaisir aux protagonistes, à l'auteur et aux lecteurs...
P
Passion, descriptions minutieuses des lieux, des personnages et des sentiments ; en me basant sur cette seule nouvelle, je remarque que Carine-Laure et moi avons une même approche de l'écriture... A deux exceptions près : l'obsédé que je suis introduit souvent des scènes à caractère sexuel et mes illusions perdues me poussent à saupoudrer mes écrits de spleen baudelairien...
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C
Merci Micheline. Une p'tite romance, ça fait parfois un bien fou fou fou
M
Une histoire vraiment chouette qui finit bien. Très jolie chute. Bravo, Carine-Laure !
P
Donc, finalement, seul le spleen...<br /> Il me serait très agréable de lire une scène &quot;très très hard&quot; écrite par toi, Carine-Laure... ;op
C
Mon cher Philippe, je m'abstiens des scènes à caractère sexuel car elles sont très très hard. Hum hum. Mais le spleen, non, non, je ne l'ai pas ...A bientôt dans de nouvelles aventures!
E
Ce n'était donc pas un loup garou mais un gentil namoureux! Tu nous a fait craindre le pire avec les cimetières et les mystères et voilà que ding dong tout finit dans un baiser :)
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C
Ah, on en redemande? Je tords les tiroirs et peut-être que quelque chose en sortira abracadabra...
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C
cool !!!!!!!!!
C
PAs pu lire hier mais j'ai tout rattrapé ce matin... Carine-Laure qui verse dans la &quot;chic-lit&quot;... avec ce brin de poésie qui lui est propre... On en redemande !
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J
Quelle pirouette en finale ! Je ne l'aurais jamais deviné, le coup du jumeau ! Ah, romanticus, romantica, que bella novella, bravo et merci pour cette rafraichissante histoire, Carine-Laure.
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